Il est des matins où l'on se réveille sur une information qui vous brise le cœur. Le plus douloureux était certes pour moi un matin du onze juin 2001 quand mon épouse me réveilla tôt pour annoncer que ma mère était partie dans son sommeil. Mais ce matin d'aujourd'hui, la nouvelle du décès de Zine Essafi, très tôt apprise par facebook, m'affecta profondément aussi, comme si quelque chose de maternel partait avec lui, peut-être tout simplement « La Mère Musique ». Ezzine est parti très tôt ce matin du dimanche 7 juin 2015, vingt ans jour pour jour après le Grand Cheikh Imam parti, lui, le 7 juin 1995. Ezzine disait de celui-ci qu'il était son maître ; il l'est resté jusqu'au dernier souffle pour infléchir peut-être la voie de l'au-delà à cette affection inébranlable entre les hommes. J'ai d'abord connu Ezzine comme une voix et Adam Fethi comme une parole lors des premières années 80 du siècle dernier, cette période d'un grand passage du Cheikh justement en Tunisie, après sa sortie de prison en 1981. Puis je connus Adam de plus près, à Sayada, en 1996, à l'occasion du Festival des Arts de la Ville (organisé par l'Association de Sauvegarde de la Ville de Sayada, ASVS, apparemment décidée à revenir à son dynamisme de la première décennie de son existence), où il accompagna de sa poésie la troupe des Colombes Blanches (Al-Hamam Al-Bidh). C'est lui qui me présenta Ezzine Essafi et j'ai tout de suite apprécié l'homme et l'artiste : un sourire permanent, une voix d'extrême douceur même quand elle s'élève pour un chant de colère, et un humanisme du respect et de l'amitié tel qu'on en trouve peut-être de moins en moins. Tout cela, sur un fond inaltérable de l'amour de la vie. Un vrai épicurien, un pur, comme le dénote son nom d'emprunt : Ezzine Essafi. Au milieu de la première décennie du 21° siècle, on avait l'impression qu'Ezzine s'oubliait et l'initiative fut prise par Nizar Chaari, qui avait pris la relève sur Elyes Gharbi comme producteur de Dima 21 sur la chaîne « Canal 21 », de l'inviter dans ce magazine en direct (le seul avec cette périodicité et avec si peu de moyens dans la télévision publique en Tunisie) pour une heure entière. Cela a sans doute contribué à un retour heureux d'Ezzine. Je poursuivis mon soutien à la musique d'Ezzine, dans les différentes actions de l'Association pour la Culture et les Arts Méditerranéens (ACAM), à Monastir, à Mahdia, à Tunis et à Kélibia (Gouvernorat de Nabeul) quand il y avait un bureau de l'ACAM domicilié dans l'espace culturel Raouf Gara. Il me fit l'amitié de chanter, sur une composition de Chdly Khomsi, son ami et son complice en poésie, certains de mes poèmes, surtout « Le Fort de Kélibia », qui rime avec le port de Kélibia. Le voilà aujourd'hui au bon port, peut-être, en tout cas au port ultime. Mais il demeurera comme un autre Fort de Kélibia et de Hammam-Ghezaz, sa ville natale. Dieu ait l'âme d'Ezzine Essafi, pourvu que ceux qui l'ont connu et qui ont aimé sa poésie sachent imposer au temps de lui donner ce qui lui est dû, dans le courant de l'Histoire.