Bien que prolifique et «dispersée» à travers les pays d'exil, l'œuvre musicale de Mohamed Jamoussi demeure consignable. Dieu merci, Jamoussi eut beaucoup d'amis et d'admirateurs, dont certains proches de la radio et de la télévision qui songèrent tôt à préserver l'essentiel de ses chansons, même celles qui, pour des raisons incompréhensibles, n'eurent pas l'audience qu'elles méritaient. L'œuvre poétique de Jamoussi est, en revanche, sinon méconnue, du moins mal évaluée, Mohamed Jamoussi était passionné d'écriture. Il y mettait autant de labeur et d'heures que pour la musique. En fait, quand on l'a connu et côtoyé, on garde en mémoire le profil d'un artiste enclin à la rêverie et à la méditation d'abord, parolier et créateur de mélodies en second. L'impression qu'il suggérait, au bout d'une rencontre assidue, était celle d'un musicien né d'une proximité aux idées et à la poésie davantage que d'un apprentissage musical proprement dit. Les avis sur la poésie française de Jamoussi sont contrastés. L'opinion académique le classe parmi «les poètes de circonstance», les «versificateurs par à coups». Pourtant, il y a bien des constantes dans les deux grands recueils qu'il a publiés. De technique et de style (classicisme, recours à l'alexandrin), de thématique surtout (romantisme débordant, influences nettes de Verlaine, Baudelaire, Vigny, Rimbaud). Quand on lit son poème La Roche des Arnauds (écrit peu de temps avant sa mort), on découvre une maîtrise, une richesse lyrique et une précision et une finesse de vue propres aux meilleurs poètes francophones. Sa description des hauteurs montagnardes est superbe et, en contrepoint, sa comparaison avec «les lieux pollués au cœur sombre des villes… (1), symbolise avec force et élégance un procès fait «à la civilisation et au progrès qui ravalent l'homme au rang de l'animalité» (2). Seule différence par rapport aux romantiques du XIXe : une spiritualité trop marquée. Dans sa quête de l'harmonie et de/la beauté, le poète Jamoussi s'en remettait constamment «à la volonté du Tout-Puissant». Sorte de fatalisme qui tranche avec «le goût de vivre» souvent développé dans ses chansons, mais qui dénotait, au final, son absolue soumission au génie de la nature (œuvre de Son Créateur»). Artistique, historique, symbolique Sur quoi méditait Jamoussi? On a souvenir (le long entretien en 1974) d'un homme absorbé par les attraits et les secrets de la vie. Par cette «dualité insoutenable» (notre lot à tous) du plaisir et de la souffrance. Epicurien Jamoussi, hédoniste même, sans doute, mais dans le même temps habité sans cesse par l'angoisse de la finitude. Il louait la chance qui nous est donnée de vivre et dissimulait mal sa tristesse devant l'inéluctable fuite du temps. La nostalgie est peut-être la thématique centrale de l'artiste et du poète Mohamed Jamoussi. Nostalgie de l'exilé, si mélancoliquement chantée, évoquée. Beaucoup de musiciens et de chanteurs ont dû vivre loin de leurs pays. Mais rares, très rares ont pu le traduire dans la presque totalité d'un répertoire, le hissant au rang d'œuvre. L'importance artistique, historique et symbolique de Mohamed Jamoussi réside dans cette cohérence et cette symbiose entre un esprit et un talent. Nous avons parlé un jour du «modèle Jamoussi». C'est ce qui nous manque précisément aujourd'hui. Pas des musiciens intellectuels, pas des chanteurs théoriciens, mais des artistes, comme disait si bien Baudelaire, capables non seulement de communiquer mais d'appréhender leur art. Mohamed Jamoussi était de cette race, hélas en voie de disparition, d'artistes à la fois instinctifs et lucides. Il était une voix, il était un chant, mais s'il perdure dans nos mémoires, c'est parce qu'il était beaucoup plus que cela : un poète musicien doué de regard. (1) Mohamed Jamoussi poète des hauteurs dans «La Roche des Arnauds» Pr Hédia Abdelkéfi, in «Jamoussi à travers ses lettres» de Saïda El Gaïed (2) Ibid