Il faut reconnaître d'emblée que les relations égypto-tunisiennes ont toujours été marquées par des remous, plus ou moins soulignés selon les circonstances et les effets, même dans les moments où l'on croyait que tout était au mieux dans le meilleur des mondes. Sinon, comment expliquer que la visite en Egypte du président tunisien Béji Caïed Essebsi, sur invitation de son homologue égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, nous renvoie directement à « la dernière visite officielle d'un président tunisien au pays des Pyramides », en l'occurrence celle de Habib Bourguiba à Gamal Abdel Nasser, en 1965? Comment ? Et la visite de Moncef Marzouki à Mohamed Morsi, les 13 et 14 juillet 2012, quand ce dernier n'avait trouvé que son ministre de l'électricité, Hassan Youssef, pour accueillir son invité tunisien, un «illustre hôte » quand même, même s'il n'était que provisoire ! On sait la réponse immédiate de Moez Sinaoui, porte-parole de la présidence de la République, qui a justifié la déclaration du président actuel par le fait que la visite de son prédécesseur Moncef Marzouki n'était pas officielle. Cela est vrai aussi puisque les agences de presse, ni même la présidence pour autant qu'il m'en souvienne, n'avaient qualifié d'officielle cette visite de juillet 2012. A preuve cet extrait de la dépêche de notre TAP : «Le président de la République, Mohamed Moncef Marzouki, effectue, à partir d'aujourd'hui, une visite de deux jours (13 et 14 juillet 2012) en Egypte au cours de laquelle il rencontrera le président égyptien élu, Dr Mohamed Morsi». Cependant, au-delà de l'anecdotique, il y a bien, d'un côté comme de l'autre, dans la perspective d'une nouvelle reconstruction du relationnel égypto-tunisien, l'intention consciente de mettre entre parenthèses ce qui a constitué, dans leur histoire, un provisoire de dérangement assombrissant et une frivolité de perturbation obstructive. Il y a surtout l'objectif évident d'une remise des rapports dans la logique de la grandeur, celle des deux personnalités, peut-être les plus symboliques en leurs temps, des deux orientations politiques du projet de développement arabe, en l'occurrence Bourguiba et Abdel Nasser. Une façon d'insinuer, à la manière du dicton de chez nous, qu'on imaginerait bien dans le jargon de notre président : « Assez joué les petits, laissez faire les grands, maintenant. » Cette attitude et cette intention à peine voilées ne tarderont pas à provoquer une contre-offensive de part et d'autre des oppositions autrement impliquées dans la question. Celles-ci ont déjà à leur disposition certains détails organisationnels et surtout le lapsus du président égyptien qui, lisant « Fakhamet erraïs » a lu «Fakhamet elkhassis », et l'on a déjà commencé à broder dessus. Pourtant, ce ne sont pas les lapsus qui manquent dans ce genre de circonstance ; On se rappellerait au moins ceux de François Hollande, en Tunisie et ailleurs, et celle de BCE lui-même, en Tunisie et ailleurs. N'empêche qu'on peut imaginer le président égyptien en train de parler en pensant à Moncef Marzouki et ses porteurs de voix, peut-être aussi à certains de ses alliés à propos de la question égyptienne. D'une façon ou d'une autre, la visite d'Essebsi en Egypte est historique, à tous points de vue, quels qu'en soient les résultats ; mais elle sera d'une importance fondatrice si les résultats s'avèrent à la hauteur des attentes. On ne perd rien à attendre, et nous y reviendrons alors.