Délibérément ou inconsciemment, la nouvelle chaîne de télévision tunisienne «Attounisia» vient d'introduire un nouveau genre dans la pratique journalistique en Tunisie, il s'agit de ce que les chercheurs en sciences de l'information et de la communication appellent la «peopolisation politique», et ce en présentant deux acteurs de la vie politique nationale: Hamma Hammami et Radhia Nasraoui, en «tourtereaux politiques», lors de son émission (hiwar khass», diffusée actuellement, quotidiennement et en boucle. Phénomène récent, mais qui n'a pas tardé à enflammer les passions, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France , la peopolisation politique est l'investissement des médias par les acteurs politiques à travers la mise en scène de leur intimité. Ce dévoilement approuvée et consentie de la vie privée, même s'il ne doit pas être confondu avec les pratiques sauvages des paparazzis, qui s'immiscent dans l'intimité des gens, sans s'y être autorisés, est déontologiquement condamnable pour plusieurs raisons. En effet, l'objectif de la peopolisation politique n'est autre que l'instrumentalisation des médias par l'étalage de l'intimité, à des fins électives. Il s'agit donc d'une médiatisation subjective commandée et dirigée par les sujets, en dehors de toute autorité du diffuseur, voire avec sa bénédiction. Les règles fondamentales d'une pratique saine du journalisme, à savoir l'objectivité et la neutralité, sont ainsi délibérément bafouées. En résulte une dichotomie entre le rôle essentiel des médias, qui consiste à servir la démocratie et donc le citoyen, et les intentions subjectives et manipulatoires du sujet, objet du processus de médiatisation. En adoptant ce genre de pratique, «Attounisia» a, de sa part, volontairement abandonné la logique «civique» pour s'inscrire dans une logique «commerciale» à long terme, étant dans une phase expérimentale, certes forcée, pour des raisons juridiques, mais que les responsables de la chaîne tentent d'exploiter à bon escient pour gagner en notoriété et dévoiler leurs logiques éditoriales. Les procédés de mise en scène, les éléments discursifs et non discursifs utilisés dans cette pratique journalistique confirment, par ailleurs, les choix éditoriaux et le dispositif télévisuel de la chaîne. Le décor, les angles de prise de vue, la musique, le registre émotionnel (larmes, soupires des sujets ) sont, en effet, les fondements du discours adopté par la chaîne et dont les responsables s'efforcent de présenter les contours à leur futur public. En encourageant la politique spectacle, «Attounisia» suit certes les nouvelles tendances en matière de programmes télévisuels, sauf que ce procédé est, d'une part, dangereusement manipulatoire et favorise, d'autre part, le paraître sur l'être. Or, dans cette délicate phase de transition que nous vivons et pour bâtir un socle démocratique solide et viable, le peuple tunisien a besoin d'idées, de débats, de programmes, d'orientations constructives et non de manipulation, d'images façonnées, de discours émotionnels et de tromperies communicationnelles. Le public a certes besoin de mieux connaître les acteurs de la vie politique, pour se forger les plus claires des idées, mais l'apparence ne doit pas supplanter la réalité, être n'est pas paraître. Il ne faut pas s'exhiber pour exister, il faut avoir des idées et surtout être capable de les exhiber.