Hbiba, 42 ans, un visage fatigué, et qui en dit long sur la misère, sur le froid, sur la pauvreté. Hbiba travaille 10h par jour, debout devant une chaîne de montage, dans une usine de traitements spéciaux du jean, un sous-traitant qui travaille pour des donneurs d'ordre américains, des grandes marques. Hbiba touche 1d 600 millimes de l'heure. Faites le calcul. Elle travaille dans des conditions épuisantes, elle passe trois heures en moyenne par jour dans les transports. Elle vit avec la douleur, constamment. Elle a mal partout, aux épaules, à la nuque. Elle n'a pas le temps d'aller à l'hôpital, de perdre une journée de travail. Et même quand elle y va, on lui donne une ordonnance avec des pilules trop chères. C'est pas possible. Il faut manger d'abord. L'usine en question est faite d'environ mille Hbiba. Elle est située dans une bourgade au fin fond du pays, au pied de la montagne. Les gens vivent dans la misère, les jeunes, les hommes surtout préfèrent habiter les cafés plutôt que de travailler pour un salaire de misère. Quand ils le trouvent, car c'est déjà un luxe de travailler. Le village est un désert absolu, presque pas de routes, une ou deux superettes, qui profitent que les gens soient pauvres, ne puissent pas aller à Champion faire leurs courses, pour leur vendre la boîte de thon, 200 millimes plus chère. 200 millimes c'est quelque chose, quand on est payé 1d 600 millimes de l'heure. L'usine en question, toujours elle, fait une recette de 1 milliard de millimes non, pas par an, par mois. La personne chargée du commercial, touche 20.000 euros, non, pas par an, par mois. La pauvre Hbiba est incapable d'imaginer même, ce qu'on peut faire avec autant d'argent. Tout ce dont elle rêve, c'est une télé, non pas plasma, mais ordinaire, dirait-on. Un frigidaire, non pas double portes, ordinaire. Du yaourt, des fruits, tous les jours Ah ça ce serait un vrai luxe! Des vêtements neufs, un ensemble d'ustensiles de cuisine au marché hebdomadaire, des matelas en ressort. Ah le luxe! Si Hbiba avait un salaire plus élevé, un salaire décent, elle achèterait plus de yaourts, plus de vêtements, plus de poulet (non la viande c'est juste une fois par an , à l'Aïd, elle n'envisage même pas d'en manger toute l'année). Le vendeur de poulet, celui de vêtements, etc., se feront plus d'argent, qu'ils dépenseront à leur tour, dans plus de ces toutes petites choses qui font le tissu économique d'un pays, précisément des villages perdus au fin fond du pays. La commerciale qui touche 20.000 euros, et qui est Française, expatriée, ne dépense pas tout son salaire chez nous. L'économie locale n'en profite pas forcément. Peut-être que c'est parce que les salaires sont, non pas élevés mais décents, en Europe par exemple, que les villages là-bas ne sont pas les déserts absolus que sont nos villages. Une des écoles de pensée en économie suggère de booster la croissance en injectant de l'argent dans les salaires, la demande va systématiquement augmenter, et entraîner une augmentation de l'offre. C'est peut-être plus compliqué que ça, avec des équations et des variables modératrices et tout. Mais Hbiba, elle, est sûre que si elle avait plus d'argent, elle achèterait plus. Logique, étant qu'il lui manque de tout, et que, selon une théorie de la gestion économique, plus on gagne plus on dépense. On n'est pas forcément trop à gauche quand on est offusqué du 1d600 millimes de l'heure, ce n'est pas juste une question de justice sociale, mais de bon sens, économique, pour ceux qui préfèrent les équations et les théories...