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Le nomade enchaîné
Publié dans WMC actualités le 31 - 07 - 2006

Grâce au système wi-fi, les nouveaux objets techniques portables deviennent de véritables couteaux suisses. Matérialisation d'un rêve d'autonomie totale, la connexion sans fil nous rend paradoxalement plus que jamais dépendants.
La dernière photo qui illustre l'essai de Jacques Attali, «L'Homme nomade», montre un bédouin assis seul dans un désert infini, tapotant le clavier d'un ordinateur portable. Ultime étape d'un nomadisme qui a traversé l'humanité, des Mongols d'hier aux technocrates de la mondialisation d'aujourd'hui, toujours entre deux avions, mais toujours branchés à leurs prothèses électroniques. Cette image veut annoncer le passage à une nouvelle ère de la communication, celle d'un monde global dans lequel nous serions tous interconnectés, mais en gardant une totale liberté de déplacement.
L'anthropologue André Leroi-Gourhan a montré que l'inscription de l'homme dans un milieu, et en relation avec ses semblables, est fortement tributaire de son usage des outils et des techniques. Il faut donc interroger cet « ensemble technique » que constituent les outils numériques qualifiés de nomades pour comprendre leur rôle éventuel de transformation de la société. Mais en se gardant de lectures naïves, souvent portées —et construites— par le discours publicitaire des fabricants de machines numériques et des industries culturelles.
Jusqu'à la fin des années 1970, le slogan phare était «Mon auto, c'est ma liberté», avant le premier choc pétrolier, avant que tous les réseaux routiers ne soient congestionnés et les villes engorgées par un trop-plein de voitures.
Aujourd'hui, un fabricant de technologie sans fil propose dans sa publicité de rejoindre le « Mouvement de la liberté », pour gagner la «liberté de mouvement». Le choix est simple: «Libre ou pas libre, telle est la question. Fais le test et vois si tu bénéficies d'une liberté optimale.» Le conseil final étant bien sûr : «Achetez des produits sans fil».
Pour se garder de tels slogans, si forts qu'ils s'imposent comme des discours collective ment partagés par un public vite acquis aux aspects les plus séducteurs de ces nouvelles technologies, il importe de rappeler quelques principes de base. Tout d'abord que les évolutions techniques, dans leurs usages, s'inscrivent plus souvent dans des séries culturelles de longue durée, même s'il y a parfois des accélérations liées à des avancées technologiques spectaculaires. Le cinéma, par exemple, ne surgit pas du néant à la fin du XIXe siècle, il s'inscrit dans une pratique culturelle ancienne, le visionnement d'images projetées par des lanternes magiques par des forains circulant de village en village. Ce sont eux qui commenceront à montrer les premiers courts-métrages muets dans les mêmes circuits culturels, agrémentés de musique ou d'un boniment.
En outre, la rupture culturelle ne vient pas tant du produit nouveau qui apparaît que de nouvelles formes d'usage. Et ces pratiques sociales et culturelles, telles qu'on les analyse, ne correspondent jamais qu'à un temps et un lieu donnés. Ce qui se dit aujourd'hui des technologies sans fil ne vaut que pour les sociétés occidentales, et encore, puisque ces usages sont loin d'être partagés par l'ensemble des populations de ces continents. La fracture numérique, pour reprendre une métaphore répandue, ne traverse pas que les pays du Nord et du Sud, elle existe aussi entre les classes sociales, les générations, voire les sexes.
Il faut cependant constater que le développement d'Internet, au milieu des années 1990, a marqué une étape dans notre rapport au numérique. Chacun, pour autant qu'il ait accès à un ordinateur assez puissant — donc lourd et coûteux — peut entrer en contact avec toute autre personne ou service utilisant le même langage. La première révolution est celle de cet accès de plus en plus généralisé (avec les réserves déjà évoquées). Aujourd'hui, les langages informa tiques sont de plus en plus simples, les coûts ont diminué, les connexions permanentes sont possibles. Deux traits essentiels en ressortent : la polyphonie énonciative et l'interactivité, avec tous les avantages de ces échanges multipolaires, mais aussi leurs risques.
Nous étions habitués à consommer des informations rédigées par une seule personne ; quand l'usager cherche son information sur des sites Web, il passe désormais d'un lieu à l'autre, il n'y a plus d'unité ni de clôture. L'usager se trouve devant un récit infini, dans lequel il circule sans hiérarchisation ni progression construite. A l'éclatement de la mise en récit correspond simultanément une déflagration de l'appropriation. il y a en même temps ressassement (la même information saisie sur plusieurs sites), hétérogénéité (des bribes d'informations diverses non coordonnées), ruptures (passage d'un thème à un autre), télescopages...
Se met ainsi en place un nouveau dispositif de communication qui doit être relié à l'évolution de la gestion du temps et à la logique d'interactivité, laquelle donne l'illusion d'avoir prise, en temps réel, sur une image modifiable par le contrôle direct—c'est-à-dire immédiat et personnel — de celui qui tient les commandes. L'interactivité a donc à voir avec de nouvelles logiques temporelles. Toutes les données du monde sont aujourd'hui accessibles en ligne directe et en temps réel, semblant abolir l'espace et le temps.
Cette participation est pour partie illusoire, mais elle donne le sentiment au récepteur d'information d'en être en même temps le co-producteur. L'énonciation de vient partagée, en même temps qu'elle se dilue au sein d'échanges multipolaires. La place respective des acteurs de la communication, leurs pouvoirs symboliques et effectifs se voient modifiés. L'émetteur se construit en relation avec ses récepteurs ; les lieux d'émissions se démultiplient au point de perdre leur identité propre et identifiable. Cela pourrait augurer d'une recomposition positive des échanges, puisque cela signifierait la fin du schéma classique émetteur/récepteur au profit d'une discursivité circulaire, véritablement polyphonique, et d'une récursivité permanente des transmissions d'information. C'est ce que certains défendent dans le concept d'intelligence collective. Une polyphonie co-construite se met en place, à travers des entrecroisements de récits partagés, tels qu'ils circulent dans les chats et les blogs.
Mais ce gain relationnel est aussitôt annulé par une perte identitaire. Les renvois permanents d'une source à l'autre rendent rapide ment impossible l'identification de l'instance émettrice et diluent les identités énonciatives. Les échanges peuvent se généraliser, mais à quoi servent-ils si le «tu» ne sait plus à quel «je» il s'adresse, ou s'il est confronté à une telle diversité de « je » qu'il ne peut plus les distinguer l'un de l'autre. Il faut prioritairement apprendre à gérer ces échanges sans émetteur identifiable. Le risque d'Internet n'est pas celui de la mort du sujet, mais de sa dissolution dans trop de sujets, sans reconnaissance possible.
La dernière révolution est celle du sans-fil, le wi-fi ou les technologies ultérieures comme le WiMax, qui le rendent déjà obsolète avant qu'il ne soit partout implanté. La disparition des câblages représente la fin de l'attachement à un poste de travail (ce terme connoté négative ment va d'ailleurs disparaître du discours promotionnel et technique). Je peux être connecté, comme avec un ordinateur de bureau, mais sans devoir être assis devant ce bureau, en me déplaçant où et quand je veux. En outre, le développement de l'accès à une bande passante très rapide, et la convergence réalisée entre téléphonie, captation et transmission d'images fixes et animées, téléchargement de sons et d'images, accès à des bases de données ou des systèmes CPS font des nouveaux objets techniques portables de véritables « couteaux suisses », pour reprendre la comparaison popularisée par les articles de presse.
La métaphore est donc bouclée : je suis un être mobile, qui va où il veut, avec pour seul outil m'aidant à survivre seul dans un monde sauvage, mon canif appareil photo et caméscope (pour montrer aux autres où je suis), téléphone (pour appeler mes amis), ordinateur (pour relever mon courrier, lire les informations et gérer mes affaires en cours), GPS (pour savoir à tout moment la place exacte que j'occupe dans le monde et savoir où je vais), MP3 (pour écouter mes chanteurs préférés, le silence est trop effrayant). Mais cette possibilité de se déplacer avec ses outils de communication ne peut se confondre avec le nomadisme, sinon par métaphore. Et c'est là que se niche le dévoiement de sens, si chargé idéologiquement. N'oublions pas que «wifi» est la contraction de deux termes quelque peu contradictoires : wireless (sans fil) et fidelity (fidèle). La femme fidèle, l'ami fidèle, le chien fidèle sont bien dans un lien privilégié et unique avec celui auquel ils sont attachés, et près duquel ils résident. Peut-on être à la fois libre de tout lien et relié dans une relation privilégiée ? On va donc dissimuler cette liaison sans fil mais cependant nécessaire à un opérateur technique derrière des termes plus poétiques les uns que les autres, se référant à une nature paradisiaque : le premier réseau wi-fi de France Télécom à Paris s'appelait le «Web Gazon», celui de Montréal «L'île sans fil». Le premier sac mobile doté de l'appareillage pour se balader sans fil est le «Wifi Bédouin».
Mobile et nomade donc, mais sans risque, puisque je peux toujours me renseigner, voire appeler au secours, et qu'on peut me suivre en permanence. Pourtant, les aventuriers qui traversaient les déserts ou les océans, à la manière de Théodore Monod ou d'Henri de Monfreid, choisissaient le parti de la solitude et en assumaient les risques. Aujourd'hui, le nouveau nomade n'a pas de fil à la patte, mais il est tenu par une laisse électronique invisible à l'intérieur du réseau, de la Toile. Les parents peuvent suivre leurs enfants grâce à la puce de leur téléphone portable, les entreprises, —elles-mêmes qualifiées de nomades !—, savent où se trouvent leurs employés en mission sur le terrain, parce que leur GPS affiche leur position en temps réel. Le nomade est toujours relié et ose moins qu'avant vivre en toute autonomie. En outre, puisqu'il reste toujours connecté à tout, il ne peut plus jamais ivre dans la séparation, la distance. Quand je suis en vacances sur une plage lointaine, je suis en même temps au travail avec mes collègues de bureau. Plus de rupture, plus de distinction entre travail et loisir, ici et ailleurs. En cela, le wi-fi crée peut-être plus de dépendance que de liberté. Avant de partir en voyage, je dois vérifier que mon téléphone portable franchit les océans, recharger la batterie de mon ordinateur, savoir quelles prises électriques sont utilisées dans le pays où je vais, trouver un réseau compatible avec celui qu'un ami bricoleur a placé pour moi (car je n'y comprends rien dans les procédures d'installation, et je n'ai par réussi à updater le logiciel requis). Il faut aussi veiller à se protéger par des systèmes de sécurité WEP ou WPA, n'envoyer que des messages cryptés, installer des pare-feux (autre métaphore), des antivirus, ne pas sortir sans VPN. Libre, mais couvert!
Sans parler du coût de ces technologies, et des «grandes oreilles» qui captent les messages circulant dans l'éther (ne jamais employer le mot «Ben Laden» dans ses mails ou SMS pour éviter d'être arrêté au contrôle douanier de l'aéroport). Bref, ma connexion wi-fi, c'est sûrement un progrès (et ce l'est certainement dans des régions en développement où l'absence de lignes fixes peut être compensée par des connexions via le satellite ; ce l'est aussi quand je découvre le wi-fi dans une chantre d'hôtel à 10 000 kilomètres de chez moi, qui me permet de skyper avec ma famille). C'est peut-être une liberté, mais c'est aussi la mise en place de nouvelles logiques d'interaction entre autonomie et dépendance, entre espace privatif et échanges interpersonnels, entre liberté humaine et assuétude technologique. En n'oubliant pas que c'est parce que la technique permet de matérialiser nos rêves qu'elle nourrit de nouvelles utopies qui s'inscriront dans nos imaginaires collectifs.

Marc Lits est directeur de l'Observatoire du récit médiatique à l'Université catholique de Louvain, Belgique. Derniers ouvrages parus : avec Pascal Durand «Peuple, populaire, populisme» («Hermès» CNRS, n° 42, 2005) ;«Du 11 septembre à la riposte. les débuts d'une nouvelle guerre médiatique» (De Boeck/INA, 2004) ; avec Jan Baetens «la Novellisation. Du film au livre» (Leuven University Press, 2004).
(Source : Le Nouvel Observateur hors-série JUIN/JUILLET)


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