Dans l'un des plus grands hypermarchés de la place, les clients ont beau se bousculer dans les rayons, pour donner au chiffre d'affaires quotidien des allures de jackpot. Dans l'arrière boutique, comprenez par là au niveau de l'administration, tout tourne au ralenti. Le chef du service financier avouera que les cadres ont bien du mal à suivre. Le suivi bancaire, les impayés, les cautions à apurer, peuvent bien attendre. Notre responsable le dira clairement : «Même nos alter ego banquiers, nos interlocuteurs pour ce type d'affaires ne sont pas aussi disponibles». Il semblerait donc que même les cadres financiers attendent l'Aïd, et donc l'après-Ramadan pour régler tous ces comptes en suspens. Le responsable en question refusera toutefois que l'on cite son nom, pour préserver ce petit secret de polichinelle. Les journalistes économiques ont d'ailleurs bien des difficultés à trouver quelque chose à se mettre sous la dent. On a beau multiplier les coups de fil, c'est le plus souvent une voix quelque peu endormie qui finit par nous répondre. «Oui, ça va ? Tu veux bien appeler après la rupture du jeûne» ? Sauf qu'après l'Iftar, notre correspondant sera bien trop occupé pour répondre à nos intempestives sollicitations. Non mais a-t-on idée de vouloir discuter business ? Le cas échéant, nos questions sur le taux de croissance et le chiffre d'affaire et la concurrence, il s'en moquera comme de sa dernière gorgée d'eau fraîche.
Question articles économiques, la presse nationale se cantonnera à des sujets strictement alimentaires. L'approvisionnement du marché en ufs et en poulets, la difficulté de trouver des dattes puisque en cette année 1429, le mois sacré ne coïncide pas vraiment avec la saison des moissons pour ce fruit du palmier, traditionnellement apprécié par le jeûneur.
Le marché boursier cède le pas à son homologue alimentaire : le marché de gros et son approvisionnement devient une préoccupation plus que jamais stratégique. Des multinationales veulent même leur part du gâteau en lançant des spots publicitaires ramadanesques. Coca-Cola, évidemment, qui n'est pas un petit nouveau dans ce créneau, mais aussi des marchands de meubles comme Ikéa, et même des chocolatiers anglais
Reste le web. On dévorera avec avidité les pages web des concurrents. On ira à la pêche aux informations sur les moteurs de recherches. Scannera les portails économiques francophones touchant de près ou de loin notre région. Pas grand-chose, sinon rien. Pas même une petite info en amuse-gueule, juste pour ouvrir l'appétit. C'est que les Musulmans jeûnent, et l'appétit ne vient qu'en mangeant. Alors même les agences de presse internationale, les journaux européens et américains, n'évoquent plus nos régions que pour évoquer notre frénésie de la consommation et notre boulimie saisonnière.
Autant d'éléments qui donnent une idée de la vie économique tunisienne en ce mois saint. Ventes et achats, bref le commerce est clairement orienté vers l'alimentation. Ce qui est tout de même pour le moins paradoxal mais pas vraiment nouveau. On (re)découvrira ainsi une vérité première : on ne fait pas de briks sans casser des ufs.