Les pétitions et autres revendications circulent aujourd'hui couramment sur le web tunisien. La dernière en date est signée Férid Boughedir. Le cinéaste tunisien bien connu, notamment pour son Halfaouine, l'oiseau des terrasses, et ses fameuses scènes de bain maure. Un mailing a ainsi arrosé quelques boîtes aux lettres électroniques, dont celle de votre serviteur. En somme, voici que le net et autres NTIC se mettent à squatter l'espace public. La pétition en question recueille des signatures pour soutenir une salle de cinéma, celle de l'Alhambra, à La Marsa, qui serait menacée de fermeture. La fréquentation de nos salles obscures est en effet en chute libre. A l'exception des sursauts salutaires, lors des festivals. Un site web a même été mis en ligne pour l'occasion, à l'adresse http://alhambralamarsa-forever.com/site/, avec des formulaires à remplir, comme une «vraie» pétition du monde «réel». L'auteur voudrait donc, par ce moyen high-tech, mobiliser l'opinion. Sauf que c'est peut-être aussi la high-tech en question qui est la cause de la mort des salles de cinéma. L'intrusion massive des nouvelles technologies serait même à l'origine de cette «catastrophe» aux yeux des cinéphiles. Et pour cause. Les graveurs de CD, et même de DVD se sont largement démocratisés. Les paraboles qui relayent les programmes des télévisions étrangères par satellite, poussent depuis longtemps comme des champignons sur nos terrasses. L'équipement électronique de réception des programmes désormais numérisés est tous les jours meilleurs marché. Certaines boutiques spécialisées proposent même six films, en format DivX, sur un seul support DVD. Pour la modique somme de deux dinars, du côté des quartiers populaires, et trois dinars maximum, dans les cités huppées. Quand on sait que le ticket d'entrée au cinéma coûte entre 3 et 5 dinars... Pour un couple par exemple, il faudrait débourser 8 dinars en moyenne pour avoir le plaisir du cinoche à l'ancienne. Pour ce même prix, on aurait pu obtenir jusqu'à 4 DVD contenant chacun 6 films, soit 24 long-métrages à déguster en toute tranquillité, chez soi. Sans même parler de ceux qui, moyennant 1 dinar, vous transfèrent quelques films sur une simple clé USB. Il faut bien utiliser les nouvelles sorties USB des derniers lecteurs DVD sur le marché. La conclusion est claire et sans appel. On notera toutefois que les oeuvres des cinéastes tunisiens sont mieux protégées. Les mêmes boutiques qui offrent ainsi le dernier film avec les stars US affichent parfois la couleur sur une affichette : «pas de films tunisiens». Histoire d'éviter les problèmes. Avec le home-cinema, écran toujours plus grand, à domicile et à prix réduits... La salle de papa n'a pas fini de compter ses cheveux blancs. Le comble, c'est que même les critiques de cinéma sont justement de moins en moins nombreux à fréquenter les salles obscures. Qu'ils s'escriment pourtant à défendre. Signalons au passage que le débat n'est pas proprement tunisien. Les industries culturelles en général, qui pèchent chez nous par leur absence, sont totalement bouleversées. La nouvelle donne numérique a poussé dans leurs retranchements des géants de l'audiovisuel, les fameux majors, qui faisaient la pluie et le beau temps dans le monde de la musique et du cinéma. Les artistes passent désormais par YouTube, pour se faire connaître. Et même si le site en question est indisponible chez nous, nos jeunes contournent tant bien que mal les obstacles. Mais alors, que peut la pétition de Férid Boughedir dans l'ombre menaçante de YouTube, et contre les clés USB ?