La scène politique traverse une crise aiguë. Le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh a présenté sa démission à la demande du président de la République Kaïs Saïed au moment ou le président de l'Assemblée des représentants du peuple fait face à une motion de censure. Alors que les soubresauts politiques secouent la coalition du pouvoir, la Tunisie est au bord du gouffre économique. Il n'est un secret pour personne que la crise due au coronavirus a aggravé la situation de l'économie tunisienne. Mais, qu'attendent les politiques pour faire primer l'intérêt national en dehors des calculs partisans étroits ? Le chef du gouvernement démissionnaire a mené un véritable bras de fer avec le parti Ennahdha, responsable, à certains égards, de sa démission. L'affaire de conflit d'intérêts a été la cerise sur le gâteau pour tenter de le discréditer. Le prochain ex locataire de la Kasbah a limogé les ministres nahdhaouis en réaction à l'initiative du parti islamiste d'engager une motion de censure à son encontre. La réaction a été jugée par Ennahdha comme étant une réaction énervée et inappropriée. Le gouvernement Fakhfakh qui n'aura eu les commandes que cinq mois, est considéré démissionnaire, selon l'article 98 de la constitution. Le pays a perdu cinq mois. Maintenant, le président de la République devra désigner la personnalité la plus apte (saison 2) pour former le nouveau gouvernement. Au Bardo, le paysage parlementaire est en pleine effervescence à cause des altercations interminables entre les députés allant jusqu'à bloquer les travaux de l'ARP. Les députés du PDL observent, depuis le 10 juillet, un sit-in dans les locaux de l'ARP appelant à destituer Rached Ghannouchi. Les séances plénières se sont transformées en espaces de confrontation. Les élus n'ont eu de cesse de se chamailler et échanger les insultes. Le clan islamiste- Al Karama et Ennahdha- s'insurge contre le PDL. Les deux réunis ont transformé le Parlement -espace de la délibération raisonnable comme dit Habermas- en arène de combat.
Si les députés n'ont pas la conscience nécessaire pour comprendre qu'ils n'ont pas intérêt à suspendre la séance plénière consacrée à l'élection des membres de la Cour constitutionnelle, comment peut-on les convaincre que le pays traverse une crise économique sans précédent ? Si les partis politiques militent pour prendre les rênes du pouvoir recourant aux moyens légitimes ou illégitimes, comment peut-on les convaincre de faire primer l'intérêt national ? Bien que la Tunisie ait réussi à maitriser la pandémie du Covid-19, les répercussions économiques sont moroses. Les chiffres révèlent que l'année 2020 sera difficile. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) prévoit une récession de 2,5% pour la Tunisie en 2020. Le Fonds monétaire international (FMI), lui, prévoit une récession de 4,3% en 2020. Il s'agit de la récession la plus grave depuis l'indépendance du pays en 1956. Le gouvernement tunisien s'attend à une dégradation flagrante du taux de croissance (-7%) par rapport à ce qui a été prévu dans la loi des Finances 2020, affectant les équilibres financiers. L'Etat a dans ce sens annoncé qu'il ne va pas recourir à l'endettement qui a déjà atteint des niveaux importants. Les résultats de l'étude menée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sont aussi assez alarmants avec 274.500 nouveaux chômeurs sur l'année 2020 et 475.000 individus dont les revenus basculeraient en dessous du seuil de la pauvreté monétaire.
Certes, la crise du Covid-19 aura de lourdes séquelles sur l'économie tunisienne. L'heure est à engager les réformes nécessaires pour faire sortir le pays de cette crise, en minimisant les impacts négatifs. En dépit de l'instabilité politique, le plan de sauvetage et de relance élaboré par le gouvernement pourrait être fragilisé. C'est pour cela que le ministre des Finances, Nizar Yaïche avait tiré à boulets rouges sur la classe politique. Celui-ci a souligné que la Tunisie pourrait profiter des nombreuses opportunités qui se présenteraient dans le cadre de la stratégie de délocalisation et de rapatriement dans le bassin méditerranéen entreprise par l'Europe, à condition d'éviter les tiraillements politiques Il a, d'ailleurs, dénoncé un décalage entre la réalité et les débats engagés et l'inconscience de certains politiciens face au danger.
La crise sanitaire du Covid-19 a été fortement marquée par les slogans de solidarité. Pourtant, alors que le pays est sur le fil au rasoir, les politiques font la sourde oreille et chacun défend son propre intérêt.