Rached Ghannouchi maintenu à la tête du Parlement. C'est sur cette note que s'achève la session parlementaire actuelle, après la proclamation des résultats du vote de retrait de confiance. Une victoire pour le président du parti islamiste ? Certes, mais sur le plan politique, le résultat reste tout de même mitigé. Le 30 juillet 2020, journée tant attendue par la plupart des Tunisiens, bien qu'elle coïncide avec la veille de la fête de l'Aïd El Idha. C'est le jour de la séance plénière consacrée au vote de la motion de retrait de confiance à Rached Ghannouchi, président du Parlement. 73 députés ont déposé une motion contestant la gestion chaotique de Rached Ghannouchi des affaires parlementaires et l'hégémonie de son cabinet. Une première en Tunisie !
Après de multiples tergiversations, une date a été fixée pour la plénière. Elle se déroule sous une grande pression de part et d'autre. Au final, les résultats sont là : 133 députés ont voté. 97 députés ont voté pour le retrait de confiance sur les 109 voix nécessaires pour le passage de la motion. 18 bulletins sont annulés, deux votes blancs et 16 voix contre le retrait de confiance. Rached Ghannouchi est maintenu, telle est la conclusion de la plénière achevée avec les youyous des députées nahdhaouis. « J'ai volontairement accepté de me soumettre à cette épreuve car j'ai foi en la démocratie et le dernier mot revient au peuple. Je ne suis pas arrivé ici sur un char mais après de nombreux examens et je n'avais pas peur, car partir n'aurait pas été un problème. C'est au final, une victoire pour la démocratie », et c'est dans ces termes que Rached Ghannouchi avait accueilli le résultat du vote.
Toutefois, le nombre de députés ayant voté pour le retrait de confiance reste énorme. 97 députés sur les 217 refusent la présence de Rached Ghannouchi à la tête du Parlement. Si on y ajoute les 18 bulletins annulés et les deux votes blancs, le chiffre grimpe à 117, ce qui est un chiffre très important. Seuls 16 députés ont voté pour le maintien de Ghannouchi ce qui est tout de même assez ironique. Et bien que les députés d'Ennahdha, d'Al Karama ou certains de Qalb Tounes se soient abstenus du vote pour des raisons tactiques et stratégiques, le résultat n'est pas la victoire écransante attendue par Rached Ghannouchi. De son expérience à la tête du Parlement, Rached Ghannouchi en sort, inévitablement, affaibli. Son aura et son charisme sont, indéniablement, perdus. En le mettant en face de cette exercice, il a été traîné dans la boue par plusieurs députés, son image de chef de mouvement intouchable est désormais cassée.
Certains observateurs indiquent que le mouvement du PDL (Parti destourien libre) a perdu la bataille contre Ghannouchi. En apparence, oui, mais Abir Moussi et son bloc parlementaire marqueront encore des points à travers leur face à face quotidien avec le président du Parlement. Ghannouchi aura finalement remporté une victoire personnelle qui pourrait flatter son égo, mais sa position au sein d'Ennahdha est devenue vulnérable. Les résultats qu'il a obtenus durant son exercice à la tête du Parlement ne sont point en sa faveur, de grandes révisions s'imposent et il devra rendre des comptes pour les multiples choix qu'il a faits, à commencer par la désignation de Habib Jemli à la Primature. Jemli qui n'a pas réussi à obtenir la confiance du Parlement qu'il préside, donnant ainsi tous les pouvoirs au président de la République au niveau de l'exécutif.
D'autre part, la victoire de Rached Ghannouchi conditionnée par le vote du parti Qalb Tounes ne peut être considérée comme un point positif. Le fait que le sort de Rached Ghannouchi soit déterminé par l'aval et l'approbation de Nabil Karoui, indique que le mouvement Ennahdha a beaucoup perdu de son poids.
La plénière qui a eu lieu aujourd'hui reflète la réalité de la scène politique et partisane en Tunisie. La reconduction de Rached Ghannouchi à la tête du Parlement n'aura probablement aucun impact économique ou social sur la vie des Tunisiens, mais indique encore l'équilibre des forces sur la scène politique. Le vote, bien que confidentiel, sera déterminant pour les prochaines alliances lors de la formation du gouvernement. Un parti ayant voté contre Rached Ghannouchi pourra-t-il gouverner de nouveau avec Ennahdha? Hichem Mechichi sera-t-il capable de faire passer son équipe sans le vote de Qalb Tounes ? Plusieurs questions se posent à ce niveau si le nouveau candidat à la Primature décide de former un gouvernement politique. Une chose est certaine, c'est que le président de la République, Kaïs Saïed, en bon observateur de cet épisode, devra se réjouir de l'image éparpillée fournie par le Parlement actuel et qu'il trouvera un énorme plaisir à le dissoudre afin d'installer son projet politique.