Le 28 mai 2020 alors que le monde faisait face à une crise sanitaire inédite, les Nations unies ont adopté - tacitement, lors de la 74e session - le projet de résolution visant à proclamer le 9 septembre “Journée internationale pour la protection de l'éducation contre les attaques”. Présentée par le Qatar et coparrainée par 62 autres pays, cette résolution souligne, entre autres, que “les gouvernements ont la responsabilité première de fournir une protection et d'assurer une éducation de qualité inclusive et équitable à tous les niveaux à tous les apprenants, en particulier ceux qui se trouvent dans des situations vulnérables”, et "la nécessité d'intensifier les efforts et d'augmenter le financement pour promouvoir des environnements scolaires sûrs et protecteurs dans les situations d'urgence humanitaire”. En ce 9 septembre 2020, l'Education tunisienne se trouve, en effet, menacée. L'instabilité politique, le terrorisme, et la crise économique doublée d'une pandémie, viennent aggraver une situation déjà désastreuse. Avant de regagner ses pénates, l'ancien ministre de l'Education, Mohamed Hamdi, a décidé de maintenir la date du 15 septembre pour une rentrée scolaire progressive face à la dégradation de la situation épidémiologique. Depuis la réouverture des frontières le 27 juin, la Tunisie a enregistré une recrudescence des cas de contamination au SARS-Cov-2, virus responsable de la pandémie Covid-19. Plus tard, le ministère a annoncé les détails du protocole sanitaire sectoriel élaboré - conjointement avec le ministère de la Santé - pour les établissements d'enseignement et de formation. Distanciation sociale, classes limitées à 18 élèves tout au plus, désinfection quotidienne des salles… Des mesures "draconiennes" dans des écoles délabrées et sans eau !
Dans une déclaration accordée à Jawhara FM le 8 septembre, le chargé de communication du ministère de l'Education, Mohamed Hadj Taieb, a indiqué que 461 établissements d'enseignement primaire et secondaire, sur tout le territoire tunisien, n'étaient pas raccordés au réseau d'eau potable. Face à cette problématique de taille - même en temps normal -, le ministère de l'Education a trouvé une solution, que nous espérons temporaire. Des citernes d'eau seront acheminées quotidiennement vers ces établissements afin de permettre aux élèves de se laver les mains - règle d'hygiène numéro un au temps du Covid-19. Et se laver les mains uniquement car cette eau n'est pas potable, selon le chargé de communication du ministère de l'Education. Pour se désaltérer, il va falloir voir ailleurs! Et pour les toilettes (s'il y'en a déjà!), il va falloir se retenir! Le raccordement au réseau de la Société nationale d'exploitation et de distribution des eaux (Sonede) ou à celui de la Société tunisienne de l'électricité et du gaz (Steg) n'est, toutefois, pas la seule problématique qui se pose aujourd'hui. La carte scolaire actuelle présente plusieurs anomalies : une infrastructure délabrée et des salles de classe surpeuplées.
Selon des statistiques communiquées en novembre 2019, par le ministère de l'Education, plus de 50% des écoles primaires tunisiennes avaient été construites il y a de cela 40 ans. Ces écoles souffrent notamment d'un manque d'équipements. Les efforts des associations et des entreprises privées - qui ont fait de la réhabilitation des écoles le cheval de bataille de leur politique RSE - demeurent insuffisants face à l'ampleur des travaux à réaliser. Certains établissements ne sont plus que des squelettes soumis à un aléa élevé d'effondrement. La dégradation de l'infrastructure dans plusieurs établissements a, d'ailleurs, été pointée du doigt par le secrétaire général de la Fédération de l'Enseignement secondaire, Lassaâd Yaacoubi. Dans une déclaration accordée à Shems FM le 26 août, il a évoqué la difficulté de maintenir la rentrée scolaire à sa date prévue, soit, le 15 septembre, soulignant que l'application du protocole sanitaire sectoriel présenterait plusieurs difficultés en raison, surtout, de l'infrastructure délabrée de plusieurs établissements. Lassaâd Yaacoubi a, alors, soutenu, aussi, que le ministère de l'Education avait zéro budget pour la mise en place d'un protocole sanitaire d'envergure.
Il convient de noter que le ministère de la Santé se chargera, en effet, de fournir les équipements de protection individuelle, désinfectants et thermomètres aux élèves qui n'ont pas les moyens de s'en procurer. Les écoliers tunisiens ne sont, cependant, pas au bout de leur peine! Le transport vers les écoles est un défi quotidien pour des milliers d'élèves. Certains, dans les régions de l'intérieur du pays, parcourent des kilomètres par jour pour rejoindre leur école. D'autres s'aventurent à escalader une camionnette au passage ou traverser un oued - en raccourci - au risque de se faire emporter par les eaux.
Les programmes dispensés dans nos écoles sont, eux, l'autre mal qui ronge le système éducatif tunisien. C'est, d'ailleurs, sur ce mal que le président de la République, Kaïs Saïed, a axé son discours prononcé le 5 septembre à l'occasion de la célébration de la journée du Savoir. Le locataire de Carthage a qualifié les programmes éducatifs de “crime contre la Tunisie”. “Le plus grand crime commis contre ce pays est le programme éducatif dispensé car il fait appel à notre mémoire et non à notre intelligence (...) Nous avons besoin de notre mémoire certes, de connaître notre histoire en toute objectivité, notre langue arabe également, mais nous avons aussi besoin de construire une société basée sur la réflexion”, a-t-il soutenu, dénonçant l'échec de toutes les réformes engagées.
L'enjeu est donc, aujourd'hui, multiple. Non seulement il va falloir restaurer et consolider l'infrastructure mais également réformer. Et réformer dans un contexte marqué par une instabilité politique persistante, un tissu social effrité et une économie en difficulté.