La police municipale a démoli aujourd'hui à Sbeitla (Kasserine) un kiosque anarchique. Un fait anodin qui s'est tout de même transformé en drame puisque la démolition a causé le décès d'un citoyen qui s'y loge. Retour sur une tragédie qui témoigne de l'effondrement de l'Etat. Abderrazek Khachnaoui, un quinquagénaire et père de quatre enfants est décédé aujourd'hui, mardi 13 octobre 2020 à Sbeitla sous les décombres d'un kiosque démoli par les autorités municipales de la région. Un événement qui a secoué toute la scène nationale. Selon les premiers éléments, le défunt, agent municipal, dormait à l'intérieur du kiosque anarchique appartenant à la famille, afin de le garder alors qu'il est encore en construction. Les autorités municipales munies d'une autorisation de démolition sont passées à l'action sans vérification préalable et sans procéder à l'évacuation des lieux. Résultat : décès du père de famille sous les décombres. Conséquence immédiate d'un tel acte, des émeutes éclatent dans la région. Les habitants ont violemment réagi pour protester contre cette opération, encore plus anarchique, que la construction démolie. Les protestataires mettent le feu à une voiture de la municipalité, incendient des pneus. Des affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre ont, également, eu lieu. Des heurts qui se sont soldés par des jets de pierres d'un côté et une riposte au gaz lacrymogène de l'autre. Certains délinquants ont profité du chaos et de la confusion régnante pour voler l'entrepôt municipal dans la région.
Et si la colère des habitants ainsi que les protestations étaient prévisibles, la réaction des parties officielles l'était moins. En effet, le gouverneur, le délégué tout comme le maire se sont lancés des accusations, essayant chacun d'échapper à la responsabilité d'un tel acte. Des conversations privées et des statuts sur les réseaux sociaux ont été même rendus publics et partagés sur la toile. Et bien que le maire insiste qu'il ne soit pas au courant de cette décision de démolition, les documents attestent que la décision de démolition a été bien prise par lui le 9 octobre 2020. Elle a été exécutée par la police municipale qui a envoyé une correspondance à la municipalité pour qu'elle mette à sa disposition le matériel nécessaire à la démolition. Même l'heure de la démolition (3h du matin) a été spécifiée dans la correspondance datant du 9 octobre, soit 4 jours avant cette opération. Ainsi, dire qu'il n'était pas au courant, est juste invraisemblable.
Face à cette confusion générale et à la précipitation des évènements, la partie gouvernementale a pris la décision classique et radicale : limoger tout le monde. Le gouverneur de Kasserine, Mohamed Samsha, le délégué de Sbeïtla, Mosbah Fourati, le chef du district de sécurité de Sbeitla et le chef du poste de la police municipale ont été démis de leurs fonctions. Et comme à l'accoutumée, un cortège de responsables se rend sur les lieux. Le ministre de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine, et le ministre des Affaires locales, Chokri Ben Hassen, ont été dépêchés sur place afin d'apporter l'appui nécessaire à la famille de la victime.
Pour couronner le spectacle, c'est le président de la République, Kaïs Saïed qui reçoit le chef du gouvernement Hichem Mechichi au palais de Carthage. Un communiqué de la présidence la République est émis à la suite de cette rencontre. Le président de la République avait insisté sur la nécessité de déterminer la responsabilité de chaque partie et d'appliquer la loi à tout le monde, sans exception. Toutefois, le chef de l'Etat ne s'est pas arrêté au drame survenu aujourd'hui, mais il a saisi l'occasion pour rappeler au chef du gouvernement la nécessité d'appliquer la loi à tous ceux qui ont dérobé l'argent des Tunisiens durant des décennies et dont les crimes sont restés impunis sans poursuites pénales efficaces.
Ainsi, ce drame met à nu un Etat fragile et décomposé : de hauts responsables de l'Etat qui se lancent des accusations sur les réseaux sociaux en publiant des conversations téléphoniques privées alors qu'une enquête est en cours et un gouvernement qui opte pour la solution de facilité en limogeant tous les responsables sans ménagement. Au final, c'est le président de la République qui convoque le chef du gouvernement pour passer des messages populistes et pour poursuivre les règlements de compte dans lesquels il s'est inscrit.
Cette tragédie vient s'ajouter à une série de drames enregistrés ces dernières années, plus atroces les uns que les autres. Et c'est toujours, le même scénario accompagné du même traitement, sans qu'il n'y ait de solution radicale, des réflexions de fond ou des réformes rigoureuses. Rafistolage et petites mesures pour la forme afin de faire avaler la pilule au peuple. En attendant, c'est l'Etat qui encaisse les coups en l'absence de dirigeants soudés et déterminés pour sauver ce qui reste de la Tunisie.