Elle était âgée de trois jours quand elle a été emmenée – lundi 2 novembre 2020 – à l'hôpital militaire de la capitale Tunis, pour une consultation de routine de par la maladie dont elle souffrait depuis sa naissance. Sa pathologie devait être son seul malheur alors qu'elle venait de sortir du ventre de sa mère, mais ses parents en ont décidé autrement. Leur confiance en la science était presque existante. C'est vers la tante du papa, une dame d'un certain âge dotée de dons pour la médecine alternative – dira-t-on – que les parents se sont tournés pour apporter des soins curatifs à leur enfant à peine née. A l'aide d'une lame de rasoir et suivant des croyances séculaires la tante a saigné l'enfant pour traiter une diarrhée. Les traces de cette scarification étaient visibles sur ses hanches, ses poignets, ses chevilles, tout son petit corps de bébé ! « C'est malheureux de voir que des parents – cultivé et bénéficiant d'un bon statut social – ont encore recours à ces rites », nous confie Pr Sonia Blibech, chef du service néonatal à l'hôpital militaire. « Ça fait 24 ans que je pratique ce métier et des choses j'en ai vu ! Les violences faites aux enfants de moins de trois ans passent encore sous silence en l'absence de la notion de ‘l'enfant victime' dans notre législation ». Chaque année, l'hôpital militaire reçoit en moyenne deux cas de bébés scarifiés – sans compter les cas admis à l'hôpital d'enfant – selon Pr Blibech. « La scarification est un rituel mortel. Il peut occasionner une hémorragie, des infections et laisser des cicatrices indélébiles sans parler des séquelles psychologiques. Plusieurs études ont prouvé que la douleur s'emmagasinait chez les enfants provoquer des traumatismes et des troubles psychologiques. C'est à la limite de criminalité. D'ailleurs, je considère ça de l'infanticide. Nous en avons parler à répétions mais rien n'a été fait ».
Pourtant signalés aux assistantes sociales et délégués de la protection de l'enfance, ce type de violences exercé par des tiers avec le consentement des parents ne bénéficient, souvent, d'aucun suivi, jusqu'à ce que mort s'en suive. On se rappellera de l'affaire Rayen, un enfant de sept ans décédé, en juin, de la main d'une guérisseuse. Celle-ci a, notons-le, été inculpée. Les parents se sont tirés indemnes. Aucune responsabilité ne leur a été imputée. Ils sont tombés dans le piège du charlatanisme, a-t-on dit ! La scarification n'est malheureusement, pas la seule pratique dangereuse que des parents infligent à leurs enfants. Il existe en Tunisie, dans chaque région, chaque ville, plusieurs autres rites et pratiques que grand-mères, tantes, mamans et papas jugent utiles contre certaines maladies ou symptômes de maladies. Pr Blibech nous a listés quelques-unes des plus improbables qu'elle avait pu constater durant sa carrière de médecin. « Pour faire baisser la fièvre d'un enfant, certains parents optent pour des frictions à l'huile d'olive, un enveloppement à l'oignon, ou encore au pétrole. L'huile d'olive ou l'oignon, c'est certes moins grave qu'enduire le corps d'un bébé de pétrole et l'envelopper dans du papier journal. L'huile d'olive provoque une obstruction des pores mais le pétrole s'attaque à la peau et cause des brûlures de 2edegré. Aussi, dans le sud de la Tunisie, l'usage fait encore que des mamans brûlent leurs enfants au niveau du nombril pour soulager les ballonnements et les flatulences. D'autres mettent des couches d'argile – utilisé dans les constructions des fours tabouna – sur les fesses des bébés pour prévenir les irritations de la peau. Pire encore, à Gabès, on administre au quotidien aux enfants la h'dida - une potion toxique composée d'huile d'olive et d'un alliage métallique utilisé dans les préparations de henné et harkous pour éliminer les déchets abdominaux ….» .
Aussi barbares soient-ils, ces soins non-conventionnels – administrés en urgence le temps d'emmener l'enfant chez un médecin ou en substitut – sont encore considérées comme « efficaces ». Ni les parents, ni les personnes qui les pratiquent ne mesurent la gravité de leurs actes, pourtant sauvages. Par ignorance ou par connaissance de causes, cela n'enlève rien au fait que ces pratiques soient des violences faites sur des enfants sans défense, aucune. Ces pratiques ne sont, malheureusement, pas punissables par la loi. Pourtant, dans son article 2, le Code de protection de l'enfant (CPE) dispose clairement « l'enfant le droit de bénéficier des différentes mesures préventives à caractère social, éducatif, sanitaire et des autres dispositions et procédures visant à le protéger de toute forme de violence, ou préjudice, ou atteinte physique ou psychique, ou sexuelle ou d'abandon, ou de négligence qui engendrent le mauvais traitement ou l'exploitation ». Plus loin, dans son article 20, le CPE précise les situations difficiles qui menacent la santé de l'enfant, son intégrité physique ou morale. On y lit : « La perte des parents de l'enfant qui demeure sans soutien familial, l'exposition de l'enfant à la négligence et au vagabondage, le manquement notoire et continu à l'éducation et à la protection, le mauvais traitement habituel de l'enfant, l'exploitation sexuelle de l'enfant qu'il s'agisse de garçon ou de fille, l'exposition de l'enfant dans les crimes organisés au sens de l'article 19 du présent code, l'exposition de l'enfant à la mendicité et son exploitation économique, l'incapacité des parents ou de ceux qui ont la charge de l'enfant d'assurer sa protection et son éducation ». Le CPE reste ainsi vague en ce qui concerne la notion de maltraitance. La notion « enfant victime », reste, elle, jusqu'à l'heure absente du Code sur la protection de l'enfant de 1995. Ce n'est qu'en 2019 que cette notion a fait son apparition sur la scène légale tunisienne avec le projet d'amendement du CPE. Ce chapitre qui serait ajouté – si toutefois l'amendement est approuvé par le Parlement – consacrerait davantage, l'intérêt supérieur de l'enfant. Ses contours restent flous pour le moment de par la définition elle-même : « est considéré victime tout enfant ayant subi un crime d'une manière directe provoquant un préjudice sur sa personne ».
En attendant que l'Etat joue son rôle dans la protection de ses citoyens les plus vulnérables, certains vont vers l'extrême en se demandant s'il ne serait pas préférable de délivrer des certificats d'aptitude aux individus souhaitant avoir une progéniture et éviter ainsi les méfaits des charlatans.