Vous ne sentez pas comme une chape de plomb s'abattant sur nous ? C'est l'ambiance générale qui prévaut depuis quelques semaines et elle perdure. Il semblerait que cette déprime généralisée ne soit pas exclusive à la Tunisie et qu'elle serait liée directement au covid-19. Le moral en prend un sacré coup et la productivité avec. Il ne se passe plus un jour sans que l'on croise une annonce de décès dans nos entourages directs ou indirects. C'est par cette ambiance morose généralisée que le gouvernement a décidé de proroger de trois semaines les mesures anti covid-19. Des mesures qui s'apparentent plutôt à un confinement qui ne dit pas son nom. Cafés et restaurants ferment leurs portes dès 16 heures et couvre-feu dès 20 heures privant ainsi les Tunisiens de leur after-work et/ou de leurs soirées festives entre potes. Que reste-t-il ? Boulot-métro-dodo. C'est la vie que nous impose ce maudit virus, ce qui n'est pas une vie. Pour résumer, nous sommes tous un peu des morts vivants en cette période.
La situation n'étant pas du tout arrangée, le gouvernement a décidé de proroger de trois semaines la fermeture des cafés et restaurants et le couvre-feu. Simultanément, il a décidé d'ouvrir les frontières terrestres et aériennes avec la Libye. Simultanément aussi, on organise un débat inter-libyen avec des centaines de participants. Que signifie cela ? Soit la situation est en train de s'améliorer et c'est normal de rouvrir les frontières avec notre voisin et, dans ce cas, de rendre leur vie sociale aux Tunisiens ; soit elle ne l'est pas et il n'y a pas de raison de rouvrir les frontières et d'organiser de grandes conférences avec tout le risque de contamination qu'elles provoquent. En prorogeant les mesures anti-covid et en ouvrant les frontières sud, le gouvernement fait la chose et son contraire. Quelle est sa motivation ? Economique exclusivement. Le sud tunisien qui vit, pour beaucoup, grâce aux échanges frontaliers avec la Libye suffoque, n'en peut plus. Il lui fallait cette bouffée d'oxygène qu'est l'ouverture des frontières. C'est bien beau cela, mais on fait quoi du reste du pays qui, lui aussi, suffoque ?
Lors du premier confinement, le gouvernement Elyes Fakhfakh a aidé, du mieux qu'il pouvait, les entreprises en difficulté et les personnes précaires. Une batterie de mesures a été prise et de gros montants ont été débloqués. Les mesures prises par Fakhfakh ont été de petites bouffées d'oxygène (très petites), mais elles avaient l'avantage d'exister. Le gouvernement de Hichem Mechichi n'a pas eu le courage de décider un nouveau confinement, croyant ainsi qu'il pouvait échapper à son obligation de l'accompagner par des aides. Aucune véritable mesure d'accompagnement n'a été prise puisqu'officiellement on n'est pas en confinement. C'est un peu comme s'il se foutait de nos gueules. Le menu très sympathique proposé par ce restaurateur tunisien résume parfaitement le problème de tous les chefs d'entreprise dont je fais partie. On est redevables de loyers, d'impôts, de TVA, de CNSS, de salaires et de différentes autres charges, alors que notre activité est en baisse à deux chiffres. On ne sait plus comment éviter le licenciement et le non-paiement des fournisseurs. Partout dans le monde, on a fait accompagner les mesures anti-covid par des aides de l'Etat. Chez nous, on fait du colmatage. Le sud suffoqué a droit à une bouffée d'oxygène, mais le reste du pays doit se débrouiller comme il peut. Or, on a beau être doté d'un excellent sens de la débrouillardise, on atteint nos limites. On croyait qu'on allait en finir et voilà que le gouvernement décide de proroger le supplice pour trois semaines. M. Mechichi n'a même pas pris la peine de nous adresser la parole pour nous expliquer la situation se suffisant d'un communiqué lapidaire, comme à la première annonce de mesures. Seule différence, il n'a pas publié son communiqué à deux heures du matin.
La critique est facile, mais qu'aurait pu faire d'autre Hichem Mechichi ? Ce qu'on demande à notre chef du gouvernement, c'est de la cohérence et du respect. Il ne peut pas, deux fois de suite, annoncer des mesures aussi importantes par un simple communiqué lapidaire. Il ne peut pas, non plus, offrir des bouffées d'oxygène au sud du pays et laisser le reste en rade. Il se devait également de nous donner le résultat des quinze premiers jours du vrai faux confinement. Le couvre-feu et la fermeture des restaurants et cafés à 16 heures ont-ils donné un résultat probant ? Nul ne le sait. On nous dit, comme on aurait dit à des gamins, que ça aurait été pire s'il n'y avait pas ces mesures. CQFD. On est prié de les croire sur parole. La vérité est que les bars et cafés sont devenus bondés avant 16 heures. La vérité aussi est que les moyens de transport sont devenus plus que bondés avant le couvre-feu, puisque tout le monde devait rentrer en même temps. Les règles de distanciation sont très peu respectées et l'Etat n'a pas les moyens de les faire respecter. Tout cela laisse à penser que Hichem Mechichi n'a pas agi en chef du gouvernement, il a agi en exécutant aveuglément les consignes de son comité scientifique sans se soucier de l'impact de ces consignes sur la population et sans vérifier s'il a les moyens de faire respecter ces consignes. Le résultat, on le voit sous nos yeux. Les cafés et restaurants sont bondés, les moyens de transport sont pleins à craquer et le virus continue à se promener librement. Il n'y a pas 36.000 solutions pourtant, il faudrait juste prendre exemple de ce qui se passe ailleurs. On décide un confinement de 15-30 jours et on le fait accompagner par les mesures économiques adéquates, comme en France. Ou bien, on fait sauter le couvre-feu et les limites horaires et on axe toute sa stratégie sur le respect des distanciations physiques, la prévention, le port du masque et les mesures sanitaires adéquates, comme en Italie et la majorité des pays européens. Au lieu de cela, Hichem Mechichi a privilégié la solution hybride à la tunisienne provoquant ainsi une déprime généralisée, une baisse de la productivité, la mort des entreprises sans pour autant limiter les risques de contagion. Une solution où tout le monde est perdant, la déprime en sus.