Loin de toutes énumérations de données statistiques, la dégradation de la note souveraine de la Tunisie par l'agence de rating Moody's résume à elle seule la situation générale du pays. Il y a une décennie, lorsque l'Etat décidait de solliciter un emprunt sur les marchés financiers internationaux, cette agence incitait à acheter les grands argentiers de la planète à acquérir des obligations souveraines tunisiennes. A l'époque, le crédit de la Tunisie était solide. Aujourd'hui, Moody's estime qu'il convient dorénavant d'y prendre garde. Et c'est encore heureux dans la mesure où la dégradation aurait pu être plus sévère. En effet, l'agence aurait décidé dans un premier temps d'accorder la note « C » sur le risque pays. Elle s'en serait avisée au dernier moment, accordant la note « B3 » qui pointe du doigt le risque de crédit alors que la note « C » concerne le risque de défaut de paiement. Autrement dit, la note « B3 » permet encore au pays de solliciter les marchés financiers internationaux, quand bien même les conditions d'obtention de crédit seraient draconiennes sinon intolérables, alors que la note « C » signifie clairement aux bailleurs potentiels qu'ils risquent de ne pas être remboursés à l'échéance.
Les raisons qui ont amené Moody's à rabaisser une fois de plus la note souveraine de la Tunisie étaient prévisibles sinon connues d'avance. Elles tiennent à l'incapacité des gouvernements successifs à gérer efficacement les finances publiques et à engager les réformes indispensables pour remettre le pays sur le chemin d'une croissance plus robuste et durable. Le gouvernement Mechichi est mis dans le même sac. Plus même, dans la mesure où l'agence de notation considère que l'instabilité politique actuelle, autrement dit le conflit au sommet de l'Exécutif du pays, n'a fait que précipiter la glissade et rendre plus difficile toute tentative de sortie de crise.
Une semaine après la publication par l'INS des résultats de la croissance, cela ne pouvait pas plus mal tomber. Et l'absence de réaction officielle du gouvernement semble être au mieux un désarroi mais au pire un cinglant aveu d'échec à pouvoir affronter les défis et redresser un pays à genou avant qu'il ne tombe à terre. C'est que maintenant, tout est à revoir, à commencer par la loi de finances et les équilibres budgétaires. Les estimations de ressources propres du budget de l'Etat devraient nécessairement être revues à la baisse dans la mesure où le recul de la croissance en 2020 est plus important que celui attendu. Ce manque à gagner, il faudra bien le trouver quelque part à moins que le gouvernement ne décide ne réduire d'autant les dépenses. Or, à ce niveau, sa marge de manœuvre est quasi-inexistante. Quant à ses capacités d'endettement, la note de Moody's les a réduites à une portion congrue pour ne pas dire à néant. On s'interrogeait déjà sur la capacité du gouvernement à pouvoir satisfaire ses besoins de financement en 2021 estimés à 18,7 milliards de dinars, après avoir emprunté un montant record en 2020 de près de 19,5 milliards de dinars. Le ratio ressources d'emprunt de l'Etat par rapport au PIB a atteint en 2020 près de 20%. Autrement dit, l'Etat a emprunté cette année-là un cinquième de ce que le pays tout entier a pu créer comme richesse. Pour 2021, ce ratio est estimé à un peu plus de 16% selon les données du budget de l'Etat. Pour rappel, en 2010, ce taux affichait à peine 5%. Le constat laisse rêveur s'il ne suscite pas colère et révolte face un tel gâchis.
Sur les 18,7 milliards de besoins de financement en 2021, plus de 13 milliards devraient provenir d'emprunts extérieurs dont une dizaine de milliards seraient sollicités des marchés financiers internationaux. Autant dire, c'est mission impossible, à moins qu'il y ait un Ethan Hunt (Tom Cruise) caché à l'intérieur de Hichem Michichi.
En tout cas, le recours au FMI est incontournable et les négociations avec l'institution de Bretton Woods risquent d'être laborieuses. Une chose est néanmoins probable sinon certaine, Le Fonds aura des exigences et imposera des conditions qui fatalement vont faire très mal. Il faudra les satisfaire, c'est le seul moyen d'amadouer les marchés et les investisseurs privés à consentir encore quelques crédits au pays, même au prix fort, dans la mesure où la carte du FMI n'est plus si efficace pour atténuer l'effet coup-de-massue de la dégradation de la note souveraine de Moody's et probablement demain celle de Fitch ou bien de l'agence R&I ou encore celle de Standard and Poor's, que les autorités tunisiennes lui ont interdit de rendre publique depuis 2013. Le pays n'est pas au bout de ses peines. La descente aux enfers continue.