Les amendements de la loi concernant l'élection des membres de la cour constitutionnelle ont été adoptés en deuxième lecture. Ceci place le président de la République, Kaïs Saïed, dans une posture inconfortable. D'un côté, il y a la constitution. Il est aujourd'hui dans l'obligation, au moins morale, de promulguer les amendements de cette loi pour permettre la création de cette cour qu'il craint tant. Même si dans sa lettre au parlement, le président suggère que de toute manière, il ne promulguera pas cette loi, il ne peut plus, rationnellement, refuser. Par ailleurs, Kaïs Saïed se doit d'être conséquent avec lui-même et ne peut pas transgresser la constitution qu'il a juré de défendre et surtout, qu'il utilise dans sa guerre d'usure avec le système politique tunisien. De l'autre côté, Kaïs Saïed ne peut supporter une défaite politique de ce type. Le président ne peut pas laisser l'ARP lui tordre le bras sur un sujet qui a pris un tel écho médiatique. Il est convaincu que la seule finalité de la cour constitutionnelle, telle que le parlement souhaite l'implémenter, est de l'isoler du pouvoir, de le démettre de son poste. Par conséquent, cette cour ne doit pas voir le jour, ou du moins pas sous la mouture voulue par le parlement. Alors, rester fidèle à la constitution et l'appliquer en promulgant cette loi, ou trouver une autre entourloupe constitutionnelle pour justifier le fait de ne pas la promulguer? Tel est le dilemme dans lequel se trouve aujourd'hui le président de la République. Entre temps, il existe des moyens de gagner du temps. Le bloc démocrate, si proche du président Saïed, peut déposer un recours en constitutionnalité auprès de l'instance provisoire. Et si jamais l'instance s'aligne sur les interprétations de Kaïs Saïed, les amendements pourraient être renvoyés au parlement. Le président de la République peut également s'abstenir de nommer les quatre membres de la cour constitutionnelle qui sont de sa compétence. Mais là il s'agirait d'une entrave claire et nette de la mise en place de cette cour, et cela passerait pour une fuite en avant de la part du président.
La seule solution qui s'offre au président de la République est celle de Jules César : la diversion. Dans sa guerre contre les partis et le système politique tunisien, le président Kaïs Saïed semble avoir perdu la bataille de la cour constitutionnelle. Mais il reste d'autres champs, d'autres théâtres où il peut s'exprimer. Ainsi, il y a la réactivation des initiatives de dialogue qui lui ont été présentées notamment par l'UGTT. Ce fut d'ailleurs l'objet de sa réunion avec l'un de ses « amis » du parlement en la personne de Zouheir Maghzaoui, secrétaire général du parti Echaâb. A cette occasion, le président de la République s'est dit « prêt à imaginer un dialogue pour sortir de la situation que connait la Tunisie ». Il est vrai qu'il s'agit d'un tout petit pas mais c'est un pas quand même. Après des mois de tergiversations, le président se rappelle subitement qu'on lui a proposé de dialoguer à maintes reprises et se dit prêt à y penser. Kaïs Saïed n'omet pas non plus d'imposer ses conditions pour un tel dialogue en disant, dans son communiqué, que le dialogue pourrait être un cadre dans lequel on agencerait les « les solutions issues de la volonté populaire ». Un lyrisme qui ne veut pas dire grand-chose mais la présidence doit sauver la face. Organiser, avaliser ou même ne serait-ce que participer à un dialogue national censé trouver des solutions à la situation de crise que vit la Tunisie éteindrait de facto toute polémique autour de la cour constitutionnelle. Même si le président refuse de promulguer la loi, personne ne lui en tiendra rigueur pour ne pas l'offusquer risquant ainsi qu'il renonce au dialogue. Finalement, un dialogue national, quelle que soit sa forme ou l'identité des participants, se révèle être une formidable planche de sauvetage pour le président de la République. En plus, s'il négocie correctement ce virage, Kaïs Saïed pourrait s'en attribuer tout le mérite et en plus avoir la tête du chef du gouvernement au moyen d'un large consensus avec les partis et les organisations. Un consensus qui ne devrait pas être trop difficile à trouver par ailleurs.
Il y a un grand « problème » dans la gestion politique faite par Kaïs Saïed. En dépit du fait qu'il est à peu près certain de finir son mandat, il fait dans la tactique pas dans la stratégie. Son horizon politique ne doit pas dépasser, au mieux, quelques mois. Il se trouve donc enfermé dans une configuration où il rend coup pour coup sans anticiper, sans prévoir et sans mettre en place un plan sur un moyen terme. Il s'agit d'une défaillance importante, mais il ne faut pas compter sur son entourage pour y remédier.