La cour constitutionnelle est devenue, semble-t-il, une urgence absolue pour l'ensemble de la scène politique tunisienne. Après six ans dans l'illégalité, il a fallu que le chef de l'Etat provoque une crise avec le chef du gouvernement en se basant sur une lecture constitutionnelle pour que le parlement se mettre en branle et décide de mettre en place cette instance. De là, il a été décidé de procéder à des amendements de la loi organique concernant la cour pour faciliter l'élection de ses membres par le parlement. Le président de la République a réagi en conviant des experts en droit constitutionnel dont Amine Mahfoudh. Il est vraisemblable que le chef de l'Etat va renvoyer le projet de loi au parlement pour une deuxième lecture lui imposant ainsi d'obtenir un consensus plus large autour de ces amendements. Pour justifier cela, un lien assez bancal a été établi entre le nombre de voix obtenues et la compétence des candidats à la cour. Comme si obtenir un large consensus au parlement était gage de compétence et d'indépendance. Ceci est complétement faux. Kaïs Saïed lui-même a été élu avec près de 3 millions de voix et ce n'est pourtant pas une preuve de compétence au poste de président de la République. Mais en réalité, la perspective de voir naitre une cour constitutionnelle fait peur à Kaïs Saïed car cela peut être un premier pas vers l'application de l'article 88, et donc sa destitution. Selon cet article : « L'Assemblée des représentants du peuple peut, à l'initiative de la majorité de ses membres, présenter une motion motivée pour mettre fin au mandat du Président de la République en raison d'une violation manifeste de la Constitution. La décision doit être approuvée par les deux tiers des membres de l'Assemblée et dans ce cas, l'affaire est renvoyée devant la Cour constitutionnelle qui statue à la majorité des deux tiers de ses membres. En cas de condamnation, la décision de la Cour constitutionnelle se limite à la révocation, sans exclure d'éventuelles poursuites pénales si nécessaire. La décision de révocation prive le Président de la République du droit de se porter candidat à toute autre élection ». Dans le communiqué suivant la réunion avec les experts en droit, la présidence de la République insiste sur le fait qu'il faut que la cour constitutionnelle obéisse à toutes les conditions pour réaliser ses objectifs dont la neutralité et la compétence « pour qu'elle ne soit l'extension d'aucune partie politique ». Kaïs Saïed craint que la cour constitutionnelle devienne un outil qui permette de contrecarrer ses desseins, voire même de le mettre sur la touche. Par ailleurs, la position autoproclamée de Kaïs Saïed comme unique interprète de la constitution est bien trop confortable pour être cédée. Donc, c'est dans cette optique qu'il faut lire le renvoi pour seconde lecture du projet d'amendement de la loi. Le président de la République doit réussir un numéro d'équilibriste : il doit mettre autant de bâtons que possible dans les roues du processus de formation de cette cour mais sans passer pour celui qui l'empêche d'être mise en place. Kaïs Saïed ne peut pas, par exemple, s'abstenir de nommer les quatre membres qui doivent être appointés par la présidence de la République. Cependant, il fera tout son possible pour compliquer la tâche au parlement. Autre subtilité à prendre en considération, selon l'article 88 il suffit de la majorité des deux tiers dans la cour constitutionnelle pour statuer. Ce qui signifie que même si les quatre personnes nommées par le président de la République font bloc pour le protéger, cela ne sera pas suffisant. A plusieurs occasions, Kaïs Saïed a prouvé qu'il se sentait persécuté, qu'il était convaincu que des complots se trament continuellement contre lui dans des chambres noires. Il est continuellement en plein délire complotiste et il est profondément convaincu que des forces obscures cherchent à le détrôner de son poste. Il l'a exprimé par des mots, à plusieurs occasions, mais aussi par des actes comme les visites nocturnes d'une caserne de l'armée et du ministère de l'Intérieur. Par conséquent, il ne serait pas étonnant qu'il puisse croire que la cour constitutionnelle n'est qu'un complot qui a pour objectif de le destituer et donc, un complot qu'il faudrait avorter. D'un autre côté, si le président de la République n'a plus l'autorité d'interpréter la constitution à sa guise, il perdrait l'une de ses armes principales dans la guerre qu'il compte livrer à tout le système politique. Au final, dans un climat aussi pourri que celui dans lequel se trouve aujourd'hui la Tunisie, la cour constitutionnelle ne sera pas un élément d'apaisement. Au contraire, elle sera un énième théâtre de tiraillements et de guerre entre les différents protagonistes. La cour constitutionnelle ne sera pas instituée pour les bonnes raisons, et donc, il vaut mieux, à l'heure actuelle, s'abstenir de porter atteinte à une instance d'une telle importance.