500 jours : Mourad Zeghidi, symbole de l'injustice    Diplômés au chômage longue durée : une proposition de loi qui fixe les conditions de leur intégration    Le grand moment Palestine aux Nations-Unies : Historique ! Et le plan Macron    Drogue et sécurité : Mbarka Brahmi accuse les autorités d'avant le 25-Juillet de compromission    Grand-Tunis : Les quartiers « stars » de la location dévoilés !    Israël accusé d'avoir attaqué la Tunisie : un aveu inédit de Tom Barrack    Prix Dongfeng Box en Tunisie : modèles 100% électriques à partir de 49.990 DT    Classes surchargées, manque d'enseignants : l'avertissement de l'Association des parents d'élèves    Tunisie : 4 tonnes de produits alimentaires dangereux retirées !    Mondial Volley : Fin de Parcours pour la Tunisie !    Tunisie : l'arrière-saison touristique attire toujours plus de visiteurs    Siliana-pluies torrentielles : la direction de l'Equipement mène une série d'interventions pour faire face aux inondations    Kasserine-intempéries : suspension des cours dans les établissements scolaires    Parlement-Proposition de loi: réglementer l'activité des muezzins dans les mosquées    Riadh Zghal: L'indice de développement régional et la persistance des inégalités    Tunisie IFC : Samir Abdelhafidh et David Tinel discutent du renforcement de la coopération économique    Bizerte : le premier pont du genre en Afrique sera achevé en 2027    Tunisie : vos démarches administratives bientôt 100% en ligne, fini les files d'attente !    Le joueur du PSG Ousmane Dembélé remporte le Ballon d'Or    Zenith Energy relève à 572 millions de dollars le montant réclamé à la Tunisie devant le Cirdi    Alerte Météo : pluies intenses et vents violents mardi    Domaine Châal : le gouverneur de Sfax suit les préparatifs de la saison oléicole    Flottille Al Soumoud : le député Mohamed Ali témoigne depuis la Méditerranée    Kaïs Saïed reçoit Brahim Bouderbala et Imed Derbali    Rencontre entre Kais Saied et Khaled Souheli sur la coopération Tunisie-Koweït    Le message obscur de Kaïs Saïed    Quasi-collision à Nice : que s'est-il réellement passé entre Nouvelair et EasyJet ?    Avis aux Tunisiens : fortes pluies, orages et baisse des températures mardi !    Le président Kaïs Saïed cible réseaux criminels et pratiques spéculatives    À Nice : un vol Nouvelair frôle un EasyJet, enquête ouverte et passagers sous le choc    Théâtre de l'Opéra de tunis: ce vendredi, hommage posthume à l'artiste Fadhel Jaziri    De la « fin de l'histoire » à la « fin de la mémoire»    Dr Mustapha Ben Jaafar - La reconnaissance de l'Etat de Palestine, étape décisive vers la paix au Moyen Orient    Séisme de magnitude 3,2 dans le gouvernorat de Gafsa    La JSK terrassée par l'ESZ : La défense, un point si faible    Ballon d'Or 2025 : à quelle heure et sur quelle chaîne voir la cérémonie    105 000 visas Schengen délivrés aux Tunisiens en 2024 avec un taux d'acceptation de 60 %    Clôture du festival du film de Bagdad: Le film tunisien « Soudan Ya Ghali » remporte le prix du meilleur documentaire    Séisme de magnitude 4,8 frappe la mer Egée en Turquie    Saint-Tropez sourit à Moez Echargui : titre en poche pour le Tunisien    Incident sur le terrain : Gaith Elferni transporté à l'hôpital après un choc à la tête    Moez Echargui en finale du Challenger de Saint-Tropez    Cinéma : Dorra Zarrouk et Mokhtar Ladjimi sous les projecteurs du Festival de Port-Saïd    Youssef Belaïli absent : La raison dévoilée !    Sfax célèbre l'humour à l'hôtel ibis avec ibis Comedy Club    La Bibliothèque nationale de Tunisie accueille des fonds de personnalités Tunisiennes marquantes    Fadhel Jaziri: L'audace et la norme    Fadhel Jaziri - Abdelwahab Meddeb: Disparition de deux amis qui nous ont tant appris    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Les deux Hichem Djaït
Publié dans Business News le 02 - 06 - 2021

Djaït vient de nous quitter. Je connais l'homme. Mais mieux, l'œuvre.
Il y a deux Djaït, le penseur et l'historien de métier. Le penseur fait dans la philosophie de l'histoire, un genre composite, un mélange de philosophie et d'histoire, la raison pour laquelle cet exercice est rejeté parfois avec mépris par les philosophes et les historiens. Les premiers s'en tiennent aux concepts (toujours en décalage par rapport aux faits) et les seconds aux faits (l'évènement est absolument singulier). Mais le genre est fécond. Il permet à l'historien de penser le fait historique, donner une touche philosophique à ses intuitions empiriques et hisser par la même des événements particuliers au niveau universel. D'où le succès du genre en général et de Hichem Djaït auprès des intellectuels arabes (mais un succès moindre que celui de Talbi, d'Arkoun et de Jabri, j'expliquerai plus bas pourquoi).

Djaït est philosophe de l'histoire dans La personnalité et le devenir arabo-islamique (1974), L'Europe et l'Islam (1978), La Crise de la culture islamique (2004) et Penser l'Histoire, penser la Religion (2021). Il s'agit donc d'un premier Djaït inscrit dans la durée. Dès son premier livre (1974), il cite Spengler Toynbee et abondamment Hegel dont les ouvrages notamment Leçons sur la philosophie de l'histoire et Philosophie de la religion sont repris et discutés dans Penser l'Histoire (2021), son dernier ouvrage (pas le plus réussi). L'Europe et l'Islam (1978) consacre les plus longs développements à ces trois auteurs (Hegel, Spengler et Toynbee).
Pourquoi ceux-là ? Je ne peux ici-même passer en revue les différentes philosophies de l'histoire, de Vico à Spengler et Toynbee. Mais c'est Hegel qui passe pour le plus grand philosophe de l'histoire, parce qu'il a comblé le hiatus qui sépare le concept du réel formulé dans cette phrase : le rationnel est réel et le réel est rationnel. Spengler et Toynbee prennent les civilisations pour matière empirique de cette philosophie de l'histoire.
Dans Le déclin de l'Occident, Spengler dit que la culture arabe est « magique », tandis que la culture grecque est apollinienne (d'Apollon, Dieu de la beauté) et la culture moderne faustienne (de Faust, représentant l'audace). Tandis que Toynbee décrit l'aventure des grandes civilisations, qui naissent et meurent comme Ibn Khaldoun en a eu l'intuition. Elles se battent pour la survie dans ce qu'on appelle la Kulturkampf (la lutte culturelle).
Djaït est imbibé de cette littérature qui donne de la consistance culturelle aux notions d'Esprit absolu, d'être, de koïnè, de conscience malheureuse, de dialectique entre le fini et l'infini et de devenir : « La personnalité arabo-islamique est […] une identité historique et essentielle » (les italiques sont de l'auteur).
Dans L'Europe et l'islam, on retrouve le même vocabulaire de « la dynamique historique » de « sujets historiques vivants » ayant subi « brisures et métamorphoses » et non de cultures mortes. Il reformule la question déjà posée par Chakib Arsalan : « Pourquoi l'Islam – ou la Chine – a-t-il piétiné là où l'Europe est partie en flèche ? ».
Hegel le poursuit même dans le second genre (l'histoire en tant que métier). Par exemple en conclusion de La grande discorde (1989), on peut lire ceci : « Si la fondation de l'islam était la 'révolution d'Orient' pour reprendre Hegel, alors la Fitna fut une révolution dans la révolution ».

Sinon, le second Djaït est un historien professionnel. Il l'est dans Al-Kufa, Naissance de la ville islamique (1986), La grande discorde (1989) et la trilogie : La Vie de Muhammad, vol. I : Révélation et prophétie (2001), La Vie de Muhammad, vol. II : La Prédication prophétique à La Mecque (2008) et La Vie de Muhammad, t. III : Le parcours du Prophète à Médine et le triomphe de l'Islam (2012).
Là, il abandonne le lyrisme des belles intuitions intellectuelles pour s'imposer la rigueur méthodologique. Al-Kufa est une « archéologie de la ville » lit-on en quatrième de couverture.
Mais le livre en tant que tel ne se prévaut d'aucune méthode. Il n'a même pas d'introduction. Il entre immédiatement dans la description minutieuse de la première ville de l'islam (17 de l'Hégire), modèle des villes postérieures : la ville est circulaire, le centre de la ville est formé de quatre pièces, le Palais, la mosquée le maydan ou rahba (place publique) et le souk. Puis les khitat (la ceinture résidentielle) sont un grand cercle coupé en rectangles, attribué chacun à une tribu.
La ville « arabe », tortueuse et désordonnée est une évolution postérieure. La grande discorde est une fresque, de la mort de Muhammad à la victoire de Muawiya. La méthode : l'histoire « compréhensive » de manière « globale » c'est-à-dire en examinant un fait singulier de tous points de vue (économique, social, politique, psychologique). Le résultat est heureux.

La trilogie sur Muhammad pose d'autres problèmes. Une histoire du prophète (qui soit une histoire ni une apologie ni un dénigrement) est-elle possible ? Et que peut apporter un historien de nouveau à l'impossible Biographie (tant que les sources sont tardives, écrites et redondantes) ? C'est vrai que les « trouvailles » de Djaït ne sont pas inédites. Elles ont été découvertes par les orientalistes (son nom Gothm et non Muhammad un nom d'emprunt, sa date de naissance, son pseudo-analphabétisme, son expulsion et non sa hijra de la Mecque…). Et même la coupe chronologique est classique et déjà utilisée par Watt (Muhammad à la Mecque et Muhammad à Médine). Djaït apporte cependant un éclairage méthodologique. Il s'adosse à la sociologie religieuse de Weber et à l'anthropologie religieuse de Durkheim (Les Formes élémentaires de la vie religieuse). Ainsi, Muhammad est replacé dans le tissu des relations tribales, dans l'opposition sacré/profane et des classes « porteuses » de l'ethos prophétique. Ça se discute mais la trilogie est sobre.

Autant dire Djaït a fait œuvre. Mais alors comment expliquer que les anthologies sur les penseurs de l'islam (cinq à six en anglais et deux en français) ne le citent pas ? Parce qu'il faisait son métier d'historien. Il n'est ni imam « laïc » ni épistémologue. Il ne prétendait pas « réformer » l'islam, comme Talbi. Même Arkoun et Abed al-Jabri (pourtant se prévalant de l'« archéologie du savoir » foucaldienne) ont commis des « exégèses » coraniques.
Dans le monde arabe, y compris en Tunisie, on aime la pensée formelle qui schématise le réel (la triade Histoire, Société et Langage d'Arkoun ou l'Enonciatif, le Gnostique et le Démonstratif de Jabri). Djaït est par trop subtil pour faire « école de pensée » ou « doctrine » religieuse. Il appartient en tant que penseur à la Kulturpessimismus (la pensée du désespoir culturel) qu'il a su communiquer à ses lecteurs, mais sans tomber dans la démagogie qui l'éloignerait de son métier d'historien dans la pure tradition académique française.
Tout se qui se dit en dehors de ces deux dimensions de l'œuvre et de l'homme est de peu d'intérêt.

* Hamadi Redissi est universitaire, philosophe, islamologue et écrivain. Professeur de sciences politiques à l'université de Tunis, il est l'auteur de nombreux ouvrages et études sur le monde arabo-musulman.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.