La militante et professeure de droit, Sana Ben Achour, a déclaré qu'elle ne s'attendait pas à une célébration officielle de la part de la présidence de la République de la journée nationale de la Femme. Elle a, également, critiqué la déclaration du président de la République, Kaïs Saïed à l'occasion de cette fête, l'année dernière, tout en considérant que la dissociation des droits politiques et civils de ceux économiques et sociaux est honteuse et représente une insulte à l'encontre des femmes tunisiennes. La professeure de droit a, également, estimé que ce discours s'oppose au concept d'égalité. Concernant l'égalité dans l'héritage, Sana Ben Achour a souligné le rôle de cette loi dans l'amélioration de la situation économique des femmes. Le président de la République s'était contenté de refuser cette initiative en se basant sur le texte coranique rejetant la prééminence de la Constitution et des principes de l'Etat civil. « Les acquis de la femme ne sont pas seulement menacés par les préceptes coraniques mais aussi par l'identité arabe », a-t-elle avancé lors d'une interview accordée au journal Acharaa Magharbi dans son édition du 17 août 2021. Citant l'exemple du Maroc et de l'Algérie où les oncles paternels et l'Etat ont une part de l'héritage avec la femme quand elle est fille unique, Sana Ben Achour a affirmé que ceci aurait pu causer des catastrophes sociales.
Sana Ben Achour a affirmé que le Code du Statut Personnel avait joué un rôle important à partir de 1956 mais était devenu caduc et dépassé par les événements car il se base sur plusieurs règles de la doctrine musulmane tel que la mention de la dot comme condition de validité d'un mariage. Même le terme ''Statut'' en arabe vient du dialecte du proche orient, selon la professeure.
La militante a, lors de la même interview, considéré que le président de la République est un conservateur. « Il ne l'a d'ailleurs pas caché. Je me rappelle encore sa déclaration du 13 août 2020 où il a considéré que l'égalité et la citoyenneté sont des principes qui s'appliquent dans l'espace public et non-pas dans la vie privée… Ceci symbolise l'approche patriarcale sur laquelle s'est construite notre société et qui considère que la femme a seulement pour rôle de s'occuper des tâches ménagères et d'assurer une progéniture », a-t-elle déclaré. Les déclarations du président de la République ne sont pas à l'image de sa femme, selon elle. « Il y a des contradictions… Le président pense de façon patriarcale… Le modèle de la femme du président de la République n'est pas le modèle de la femme selon Kaïs Saïed… La façon dont il célèbre la fête de la Femme démontre qu'il n'est pas attaché à cette cause… Il ne reconnaît pas sa symbolique et est en train de la détruire graduellement », a-t-elle ajouté. A lire également Schizophrénies présidentielles Pour ce qui est de la visite du président de la République à Hay Hlel, Sana Ben Achour a estimé que ceci s'inscrit dans le cadre de la politique de pitié. « Même si cela permet de ressentir les souffrances des autres, le président fait partie de l'élite et ne fait pas partie des travailleurs… Ben Ali visitait, également, les femmes travailleuses et vivant dans les milieux ruraux… Kaïs Saïed utilise les souffrances des femmes pour se créer l'image du sauveur et accroître la légitimité de ses décisions… De même pour les composantes de la société civile… Il ne reconnaît pas les institutions et refuse les médiations. Il se veut guide et sauveur du peuple », a-t-elle poursuivi. A lire également Kaïs Saïed aux femmes artisanes : Gardez la tête haute, je suis avec vous !
Evoquant les discours du président de la République, Sana Ben Achour a considéré que ces derniers comportent une violence verbale extrême. « Il est intègre et honnête, certes, mais il détient tous les pouvoirs et a rompu toutes les voix de dialogue… Il insulte et dénigre tel que bon lui semble… D'ailleurs, il n'est pas la seule personnalité publique intègre et honnête présente… Nous voulons le soutenir mais à condition qu'il y ait des institutions de l'Etat. Je ne peux pas, en tant que militante et professeure de droit, soutenir une personne qui monopolise les pouvoirs. Kaïs Saïed est un politicien méconnu qui parle des autres et non-pas de lui-même. Nous ne savons toujours pas grand-chose sur son projet et ses orientations », a-t-elle insisté.
Concernant les mesures exceptionnelles annoncées par la présidence de la République le 25 juillet 2021, Sana Ben Achour affirmé que Kaïs Saïed avait préparé son coup d'Etat depuis 2019. « Il était clair depuis le début. Il s'oppose à la démocratie représentative et appelle à un nouveau régime. Il détient une part de responsabilité dans la situation de blocage… C'est lui qui avait nommé Hichem Mechichi à la tête du gouvernement… Il est clair que le président se préparait à l'application de l'article 80 de la Constitution depuis son refus du remaniement ministériel », a-t-elle affirmé. Pour ce qui est de la dissolution du parlement, Sana Ben Achour a estimé que ceci est possible par deux mécanismes. En premier lieu, la révocation de listes électorales et de députés, or, le parlement ne peut pas continuer à fonctionner en étant vide. En deuxième lieu, citant l'analyse de son collègue Slim Laghmani, Sana Ben Achour a mentionné la possibilité de la tenue d'une plénière de vote de confiance au gouvernement. Si ce dernier n'obtient pas la confiance, l'assemblée sera dissoute. Sana Ben Achour a, également, considéré qu'on ne peut pas envisager une feuille de route sans réinstauration de la situation de légalité constitutionnelle et séparation des pouvoirs. Par ailleurs, Sana Ben Achour a estimé que le 25 juillet 2021 marquait la fin de l'islam politique et de Rached Ghannouchi. « Rached Ghannouchi n'est pas politiquement intelligent… Il n'avait pas saisi l'ampleur des pertes du parti lors des élections… Le mouvement Ennahdha avait vécu des conflits internes… Les leaders du parti étaient aveuglés et avaient tenté de changer notre modèle sociétal par la force. Le début de la crise pour Ennahdha était le sit-in Errahil. Il ne faut pas adopter la même approche sécuritaire de Ben Ali afin de s'opposer à l'islam politique… Au contraire, cette politique répressive a fortifié leur présence dans notre société », a-t-elle déclaré. « Il y a une rupture entre l'élite et le peuple… Nous devons rétablir l'ascenseur social… l'élite d'aujourd'hui n'est pas celle des années vingt… Nous n'avons pas suffisamment d'études à ce sujet… les chômeurs et les personnes marginalisées veulent participer et nous devons les inclure dans le contexte politique et économique », a-t-elle poursuivi
Enfin, Sana Ben Achour a affirmé que les sympathisants de Kaïs Saïed appellent à éloigner son frère de la sphère du pouvoir. « La jeunesse appelle à une véritable démocratie… Les jeunes ont le droit de faire partie de leur pays… Je soutiens cette jeunesse et je refuse toutes autres pratiques telles que le lynchage visant Jawhar Ben Mbarek… Il est clair que Riadh Jrad n'a rien avoir avec le journalisme et qu'il est là pour la propagande… nous devons respecter nos différences… Plusieurs personnes ont peur… Je suis prête à militer pour cela », a conclu la professeure de droit.
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