Quand la Tunisie aura-t-elle un nouveau gouvernement ? La question agite les débats à l'heure où la confusion gagne du terrain et le président de la République ne semble pas prêt à trancher. En attendant, plus de cinquante jours se sont écoulés depuis le 25-Juillet. Aux appels récursifs des organisations nationales, notamment l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), à la nomination d'un nouveau chef à la Kasbah et la formation d'une équipe gouvernementale, Kaïs Saïed, a choisi de répondre par une petite pirouette : un gouvernement oui, mais une vision d'abord. Petit détail en plus : les membres de ce nouveau gouvernement seront désignés par le chef de l'Etat sans consultation du nouveau locataire de la Kasbah toujours inconnu. Celui-ci serait, à priori, nommé au même titre que les membres de l'équipe qu'il présidera en simple pantin, paraît-il. Mardi, le président de la République a convoqué les doyens Sadok Belaïd et Mohamed Salah Ben Aissa ainsi que le professeur Amine Mahfoudh, pour discuter de la situation politique en Tunisie et d'autres questions constitutionnelles. Evoquant, à l'occasion, la formation du prochain gouvernement, il a fait savoir qu'il avait épluché plusieurs dossiers mais aucune décision n'avait été arrêtée car, certes, il est important de former un gouvernement, mais la vision qu'adoptera celui-ci est vitale.
Kaïs Saïed aurait-il changé d'avis au sujet de la formation d'un gouvernement ? Tout porte à croire que oui. Si l'on se tient à ce qu'il avait déclaré mardi, le chef de l'Etat ne semble pas attacher le même niveau d'importance à la formation d'un gouvernement que lors du 25-Juillet. En plus de la nouvelle condition posée en épisode précessif à la formation du prochain gouvernement – en l'occurrence une vision politique claire qui servira l'intérêt général du peuple tunisien – il a laissé entendre que l'Etat pourrait bien continuer à fonctionner sans une équipe à la Kasbah. Kaïs Saïed a rappelé, dans ce sens, qu'à l'époque de Habib Bourguiba en 1959, il n'y avait pas de gouvernement mais des secrétaires d'Etat pour la gestion des affaires de l'Etat. Il a même signalé qu'il aurait pu nommer un chef de gouvernement et désigner les membres de son équipe au lendemain du 25-Juillet mais qu'il ne l'avait pas fait pour les raisons susmentionnées, niant, toutefois, être dans l'incertitude.
L'incertitude est bel et bien présente, pourtant. Les réactions des organisations nationales aux déclarations du président de la République en sont la preuve. Certaines lisent en ses discours – parfois qualifiés de logorrhéiques – un revirement de situation. Car, le 25 juillet au soir, Kaïs Saïed est apparu sur nos petits écrans pour annoncer le gel des activités du Parlement, le limogeage du chef du gouvernement, alors, Hichem Mechichi, mais également la nomination d'un nouveau chef de gouvernement et d'une équipe de ministres sur la base de propositions qui seraient fournies par l'élu de Carthage à la Kasbah. Un détail que le président de la République aurait oublié ?
Le président de la République a, explicitement, indiqué, ce soir-là, que la nomination du nouveau chef de gouvernement se ferait dans les délais prescrits par l'article 80 de la Constitution sur lequel il s'était basé pour prendre la batterie de mesures précitées et annoncer l'état d'exception, soit trente jours. Or, avant même la fin de ces délais, il s'est permis de rallonger cette période sine die et le voilà s'accorder le privilège de choisir pour son « prochain premier ministre », l'équipe qui l'entourera si jamais gouvernement il y aura.
Jusqu'à l'heure, l'Etat continue à tourner par la simple volonté de Kaïs Saïed et le petit pouvoir décisionnel des quelques ministres que le président de la République a choisi de maintenir et des chargés de portefeuille qu'il a nommés en remplacement des ministres de la Santé, des Finances, et des Technologies de la communication, entre autres. Cette situation pourrait, d'ailleurs, s'éterniser si le plan du président de la République venait à se concrétiser. Celui-ci aurait en tête, selon le conseiller à la présidence de la République, Walid Hajjam, l'instauration d'un régime présidentiel pour ainsi rompre avec le modèle bicéphale de l'Exécutif mis en place après la Révolution de 2011 avec la bénédiction des parlementaires, et une refonte de la Constitution jugée stérile.