On ne cesse de se demander, depuis des semaines, où va le pays ? A quel avenir devons-nous faire face ? Que va-t-il advenir de la Tunisie ? Devant l'absence totale de réponses en provenance du palais de Carthage, siège de tous les pouvoirs, nous pouvons trouver un élément de réponse dans les algorithmes du réseau social Facebook. A la manière d'une république bananière en bonne et due forme, une conseillère à la communication et porte-parole du gouvernement a été nommée pour exercer pendant…une journée. Il semblerait que la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, ait cru qu'elle pouvait nommer librement ses conseillers surtout en matière de communication. Il a fallu que Carthage lui rappelle qu'elle n'avait même pas cette prérogative et que les personnes choisies devaient, d'abord, passer le filtre de Kaïs Saïed. Cela aurait été tolérable, voire logique, si ce filtre était rationnel et réfléchi. Il ne l'est pas. Amel Adouani a été virée à cause de l'influence de certaines campagnes sur Facebook et celle de certaines « sources » à qui le président prête une oreille attentive. Amel Adouani a été virée car un obscur « mouvement du 25-juillet » en a décidé ainsi. En plus, à travers son mur Facebook, la dame a exprimé une certaine sympathie envers la présidente du PDL, Abir Moussi, et, faute suprême, a critiqué certaines décisions du président de la République. Il n'en fallait pas plus pour que la présidence de la République freine des quatre fers et s'oppose à la nomination de Amel Adouani à un poste aussi sensible. C'est que, vu de Carthage, les hauts fonctionnaires qui vont venir étoffer l'exécutif doivent, d'abord et avant tout, montrer une allégeance sans faille au chef, Kaïs Saïed. Au diable la compétence et les critères ennuyeux de ce genre, il faut surtout soutenir et aimer son président. C'est le cas de Najla Bouden qui, depuis sa nomination, n'a pas jugé utile de s'adresser au peuple. C'est logique vu que le seul objectif est d'être dans les petits papiers du président. Il n'y a qu'à voir les ministres quand ils sont réunis avec celui qui les a choisis : bien attentifs, tête baissée ou en train de noircir leurs carnets de notes, comme des élèves dans un cours. C'est ce type de qualité que le président souhaite voir.
Facebook sert aussi de source au président Kaïs Saïed puisqu'il y puise des « révélations » et des « scoops ». En fait, le chef de l'Etat agit un peu comme ce vieil oncle qui vient de se créer un profil et qui te noie de fake news et de pseudo-révélations fracassantes entre deux photos de tasses de café flanquées d'un grand « bonjour ». On aura beau lui expliquer que l'outil ne sert pas à cela, qu'appuyer sur F8 ne fais pas tomber les robes et que Facebook n'est pas une source en soi, rien à faire. Les pseudos dossiers de corruption flagrante dont a parlé le chef de l'Etat à plusieurs reprises viennent de ce qu'il y a de plus nul et de plus sale sur Facebook. La révélation de l'homme d'affaires qui aurait en sa possession 1500 millions de dinars, la femme de l'avocat qui aurait 100 millions de dinars sur son compte sans travailler, le responsable étatique qui a détourné un don de 500 millions de dollars, l'autre personnalité qui a détourné 80 millions de dollars au Luxembourg. Toutes des affaires que le président a évoquées à différentes reprises et qui trouvent leurs sources dans des publications farfelues et des campagnes d'extorsion savamment orchestrées sur les réseaux. Kaïs Saïed puise ses « infos » auprès de personnes plusieurs fois condamnées pour diffamation, chantage et mensonge. Le président n'a rien à faire de la présomption d'innocence, il ne fait que servir au peuple ce qu'il souhaite avec comme seul critère le nombre de likes et ce que la toile réclame. Il se fout de savoir s'il écorche l'honneur de personnes honnêtes ou s'il bafoue les procédures. D'ailleurs, voir le contenu des interrogatoires de Mehdi Ben Gharbia publié presque instantanément sur certaines pages ne le dérange nullement, puisque c'est là qu'il puise sa maigre substance politique. Dans un pays où la justice respecterait réellement les procédures, cette entorse serait suffisante pour faire cesser toutes les poursuites, même si elles étaient crédibles.
A plus de soixante ans, le président Kaïs Saïed est sans doute le plus « digital » des présidents tunisiens. Il nomme et limoge selon les humeurs de Facebook, il tient ses dossiers et ses informations de Facebook et ne communique que via Facebook. Mais il s'agit aussi d'un président « virtuel » qui privilégie sa vision personnelle à toute autre considération de justice ou d'équité. Un président qui convoque le ministre de l'Intérieur pour régler un problème de pollution. Un président qui ne fait que parler de « Tunisie nouvelle », de « nouvelle approche », de « changement de paradigme car l'esprit humain a évolué » et qui, au premier problème, envoie les policiers avec les matraques et le gaz lacrymogène. En fait, il n'a pas d'autre réponse à donner que ce que les différents régimes précédents ont offert, cette fois avec beaucoup moins de tact.