Les dernières sorties du boss du parti islamiste et de ses acolytes les montrent souriants, enjoués, parfois hilares. Le pouvoir de l'image, Ennahdha sait en tirer profit. Par ailleurs, le message derrière cette image est assez limpide. Tel un Terminator, décidé à aller jusqu'au bout de sa mission, le mouvement nous nargue semblant nous dire « I'll be back ». Au cours de la première période suivant le coup du 25 juillet, les islamistes étaient réellement en déroute. Aux dissensions internes s'ajoutait ce renversement présidentiel tonitruant, en plus de l'hostilité populaire arrivée à un point de rupture. Le 25 juillet, Ennahdha voyait le pouvoir, tant convoité, lui filer entre les doigts et basculer totalement du côté d'un insaisissable président qu'il n'a su ni dompter ni amadouer. Si la grogne à l'encontre des islamistes s'est transformée en l'espace d'une soirée en liesse populaire, si ça montre le degré de rejet dont ils font l'objet, cela ne veut pas dire qu'ils n'auront plus d'existence comme l'ont pensé certains naïfs. Les tentacules de la pieuvre ont eu dix ans pour se déployer et s'enraciner. Le 25 juillet ce n'était pas la fin des islamistes, au contraire. Il s'agissait d'une trêve, d'un temps-mort où l'on reprend son souffle pour mieux rebondir. Je reste convaincue que le coup présidentiel a contribué à absorber la colère sauvant d'une certaine manière la peau des islamistes. Surtout que Kaïs Saïed a lancé son OPA sur le pouvoir sans arriver à gérer la suite. Il aurait pu manœuvrer finement, préparer ses dossiers au préalable, frapper fort et vite, mais il a cumulé cafouillage sur cafouillage. Il a laissé le temps jouer en sa défaveur, il n'a pas su aller au bout de son entreprise en reculant et tempérant au mauvais moment. Couac stratégique qui nous mène aujourd'hui au sourire « nargueur » du vieux renard Ghannouchi. Au lendemain du choc, les islamistes ont voulu jouer la confrontation en tentant de mobiliser les troupes sur le terrain, mais la peur avait paralysé plus d'un et la mobilisation n'avait pas eu l'envergure souhaitée. Ça passe alors à la confrontation médiatique et ça fait appel à son réseau international. Le mot « putsch » est lâché sur les plateaux, dans les communiqués, les tribunes étrangères. Mais la confusion est telle que même les puissances étrangères avaient tempéré et opté pour la prudence. C'est là qu'Ennahdha a exclu le mot « putsch » dans une tentative d'amadouement surtout en voyant que ses hiérarques n'avaient pas été inquiétés outre mesure. Cette stratégie n'ayant rien donné, ça endosse la cape du gentil défenseur de la démocratie bafouée et des libertés piétinées. Le pire c'est qu'entretemps Kaïs Saïed a multiplié faux pas et impairs leur permettant de se ressaisir et de lancer l'offensive en jouant sur quelque chose qu'ils maitrisent : la victimisation. Les as de la victimisation sont de retour. Ils profitent de la moindre erreur (et il y en a jusqu'à ne plus compter), ils sautent sur la plus infime des occasions (celles-ci se présentent fréquemment) pour taper dans le mille et nous dérouler l'étendu de leur talent en matière de victimisation. Le chef de l'Etat a laissé décamper la période de grâce dont il bénéficiait et a donné le bâton pour se faire battre plus d'une fois. Il n'est donc pas étonnant que les islamistes rompus aux techniques de camouflage se faufilent dans les failles et en tirent profit. Aujourd'hui, ils sont souriants et ils se permettent de donner des leçons. Ceux qui ont déglingué le pays pendant dix ans, ceux qui sont à l'origine de la crise que nous vivons ont l'outrecuidance aujourd'hui de réclamer, exhorter, dénoncer, fustiger, et tout le champ sémantique autour, sans être inquiétés.