Il est indéniable que nous nous trouvons au beau milieu d'une crise dont les horizons de résolution sont bien lointains. Nous faisons partie d'un peuple adepte du « mieux est l'ennemi du bien ». Nous sommes incapables de capitaliser sur ce qui se fait de bien dans notre pays et nous manquons cruellement de mémoire. Croire que Kaïs Saïed peut être la solution à n'importe quel problème de la dimension d'un pays est en soi un signe de désespoir. Nous sommes enclin à croire au messie, au sauveur, à celui qui aura toutes les solutions, même si ce n'est que Kaïs Saïed. L'actuel président de la République représente aujourd'hui cette crise et n'a pas de solutions à présenter à ce peuple. Des solutions crédibles et applicables évidemment. Le peuple tunisien est tellement désemparé qu'il se réfugie dans un populisme de bas étage représenté par Kaïs Saïed, par ses propos et par son incompétence à régler le moindre petit problème. Une grande majorité de ce peuple, à en croire les sondages, est prêt à se mentir à lui-même en estimant que le pays va dans la bonne direction avec Kaïs Saïed à sa tête. Il s'agit d'un président auteur d'un coup d'Etat, qui s'est accaparé tous les pouvoirs un certain 22 septembre en vertu d'un simple décret. Demain, cela fera quatre mois depuis le coup d'Etat du 25 juillet et rien, ou presque n'a été fait dans tout ce que Kaïs Saïed a promis. Aujourd'hui, c'est un hyper président qui ne connait rien à l'économie, qui aborde le social avec un populisme primaire et qui est responsable de l'isolement international d'une Tunisie qui a tant besoin de ses relations extérieures. Il faut ici préciser, à l'attention des soutiens fanatisés du président que voir un ministre ou même une cheffe du gouvernement participer à un sommet sur le Moyen-Orient vert n'est pas un signe d'acceptation diplomatique. Par contre, être royalement ignoré quand il s'agit d'un sommet sur la Libye, par exemple, devrait mettre la puce à l'oreille.
Mais la question qui se pose ici est celle de savoir pourquoi nous en sommes arrivés à un tel point de désespoir que nous sommes prêts à donner le destin du pays à Kaïs Saïed ? La réponse se trouve dans la décennie qui a précédé le coup d'Etat. Les islamistes ont œuvré de manière méthodique à détruire la Tunisie et à la mettre à genoux. Par incompétence pour certains, par perfidie pour d'autres, les islamistes d'Ennahdha sont très largement responsables de la déliquescence institutionnelle, sociale et économique d'une Tunisie qui a toujours été fragile. Ennahdha, et à sa tête Rached Ghannouchi, n'ont appris de la politique que son aspect combinard et n'ont jamais été au niveau de la Politique au sens noble du terme. Ils ont été tout aussi incapables, incompétents et intéressés que peut l'être aujourd'hui Kaïs Saïed, mais ils ont su le cacher à l'opinion publique grâce à un vernis très fin de politique politicienne et de combiens en tout genre. C'est dans le désert politique créé par Ennahdha qu'est arrivé Kaïs Saïed. Ce sont eux qui ont créé tellement de désespoir que n'importe quoi, n'importe quelle entité, peut devenir une alternative crédible à l'hégémonie islamiste. Le même Rached Ghannouchi qui se permet aujourd'hui de donner des leçons de démocratie et de légitimité a fait preuve d'une grande constance en bas du classement des personnalités politiques auxquelles les Tunisiens font confiance. Le seul qui a contesté, un temps, le trône est Hafedh Caïd Essebsi. Mais depuis dix ans, dans toutes les configurations politiques, quels que soient les alliés d'Ennahdha, Rached Ghannouchi est détesté par les gens. Il vaudrait mieux pour lui aujourd'hui de se taire, d'aller se reposer et de passer son chemin. Rached Ghannouchi et son parti sont arrivés, en dix ans, à susciter autant de dégoût et de désespoir que le régime de Ben Ali en 23 ans. C'est une réelle performance que d'avoir transformé le peuple du 15, 16 et 17 janvier 2014 en celui d'aujourd'hui.
Mais l'opposition à Kaïs Saïed regroupe d'autres entités politiques. Les progressistes d'abord. Dans un témoignage de bêtise et d'opportunisme sans nom, les progressistes font la même erreur que dans les années 90. A l'époque, le régime de Ben Ali s'était mis en tête d'éliminer, purement et simplement, les islamistes. Une large part de progressistes, à cette époque, ne sont pas intervenus et n'ont même pas exprimé d'indignation. Ils pensaient profiter de la situation puisque le régime les débarrassait de leurs ennemis islamistes. Ils n'avaient pas prévu, à l'époque, que le régime se tournerait contre eux dès lors qu'il en aurait fini avec les islamistes. Bis repetita aujourd'hui, après tout, les progressistes font aussi partie de ce peuple dépourvu de mémoire. De l'autre côté, il y a Abir Moussi. Privée de son théâtre d'expression habituel, à savoir le Parlement, Abir Moussi a été désarçonnée, un certain temps, par les décisions de Kaïs Saïed. Il fallait prendre le temps de comprendre où le vent allait tourner, ce qui est la preuve d'une sagesse politique certaine. Ce qui l'est moins par contre c'est de dire que durant cette période-là elle voyait –déjà, évidemment- le danger Kaïs Saïed venir mais qu'elle a préféré « accompagner le peuple dans sa joie ». Le challenge pour elle aujourd'hui est de tenter de représenter une alternative et de se démarquer de ce que les fans de Kaïs Saïed appellent le système d'avant 25-juillet. Un autre challenge sera aussi de ne pas finir comme ce garçon qui criait au loup en alertant sans cesse contre les desseins et les volontés cachées de celui qui gouverne, quel qu'il soit.
Les vraies victimes dans tout cela c'est cette petite partie des Tunisiens qui sont contre les islamistes et leur en veulent pour la destruction du pays, mais qui pensent aussi que Kaïs Saïed ne pourra que finir le travail et qu'il n'a ni l'étoffe, ni les compétences pour être président de la République. Ces Tunisiens qui ne se retrouvent dans aucune offre politique actuelle, qui ne croient pas que l'on était en démocratie et qui sont certains que Kaïs Saïed ne représente aucunement la solution pour ce pays. Ceux-là sont dans de beaux draps car ils refusent de s'aligner en faveur d'un camp ou d'une autre, mais qui savent une chose : ça ne pourra pas marcher comme ça.