Le juge d'instruction du Tribunal de première instance de l'Ariana a interdit hier « toute diffusion d'un contenu pouvant porter préjudice à la femme dans le traitement médiatique de l'affaire dite Belgacem ». Il était grand temps. Depuis que cette affaire sordide a éclaté dans l'émission d'investigation les Quatre vérités de Hamza Belloumi, la toile s'est déchaînée. Au sens propre du terme. On ne parlait plus que de ça. Pendant plusieurs jours, nous étions envahis d'allusions à la puissance sexuelle de cet homme, de ses prouesses et de sa force. Il était désormais devenu impossible de parler de sexe, de procréation ou même de fruits secs sans provoquer une allusion presque naturelle à cette affaire. Elle était étalée partout, sur les réseaux, dans la presse même dans les pubs. Sans le vouloir, on avait droit aux blagues de mauvais goût et aux pubs pour produits alimentaires ou autres avec pour effigie un charlatan accusé d'avoir escroqué et abusé de très nombreuses personnes. L'affaire a suscité beaucoup de remous, mais surtout pour les mauvaises raisons. Au lieu de s'indigner face à une ignorance qui pousse certains à faire confiance à un charlatan pour soigner un problème d'ordre médical, à une impunité qui fait qu'un homme sévit en toute illégalité pendant des années sans être inquiété, et à l'absence totale de toute notion de consentement dans l'acte sexuel, l'attention est malheureusement déplacée ailleurs.
De charlatan, l'homme a été érigé en véritable Rocco Sifredi tunisien, symbole de la puissance et de la virilité masculine. En plus d'avoir dévoilé au grand jour des cas de charlatanisme, d'escroquerie et d'abus en tout genre, cette affaire a mis à nu la misogynie de la société tunisienne dans toute sa splendeur. L'homme, hors la loi, ayant exploité la crédulité et l'ignorance de dizaines (le chiffre reste encore inconnu) de personnes est désormais adulé et envié. Encore une fois, la honte change de camp. Ce n'est pas l'agresseur qui l'encaisse mais les victimes qui la subissent de plein fouet. On partage sur la toile des conversations de femmes vantant les mérites de ce charlatan « hors du commun », qui, le temps d'un coït, arrive à soigner des années d'infertilité. Encore une fois on décrédibilise les victimes pour justifier l'injustifiable. A aucun moment, on ne profite de ce scandale pour lancer un débat sur la déviation que la société tunisienne a prise pour tolérer ces pratiques charlatanesques ou - malheur et décadence - sur la notion même de consentement…
Dans le pays des droits de la femme (sic) et du code du statut personnel (resic) la notion de consentement est absente du débat public. Elle est ignorée, méconnue et inexistante. Le viol conjugal est un ovni pour de nombreux avocats et juges ; la victime d'agression sexuelle est malmenée et culpabilisée pour avoir dénoncé son agresseur ; les femmes célibataires ont honte d'aller chez le médecin pour se prescrire la pilule ou de se présenter devant le guichet d'une pharmacie pour acheter une boite de préservatifs. On préfère acculer les femmes violées au silence de peur pour leur honneur, avorter dans des conditions dangereuses, abandonner son enfant en pleine nature ou même l'assassiner lorsque l'on tombe enceinte hors mariage, de peur pour son honneur et surtout celui de sa famille. Lorsqu'une affaire d'abus de ce genre éclate, on ne s'interroge nullement sur le viol subi par nombreuses de ces victimes, abusées en contre-partie d'une guérison illusoire. On s'empresse de déclarer qu'aucun viol n'a été commis étant donné que les victimes ont elles-mêmes payé l'auteur des sévices et qu'elles n'ont manifesté aucune résistance. Autant de préjugés et d'ignorance qui s'ajoutent à l'océan dans lequel on noie, chaque jour, les victimes de violences sexuelles. Pourquoi n'a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s'est-elle pas débattue? Pourquoi a-t-elle consenti au départ? Que fait-elle là?
Oui il s'agit d'un fait divers mettant à nu l'ignorance d'une frange de la société, mais il s'agit aussi et surtout d'une énième preuve que la société tunisienne n'est pas encore prête à débattre des vraies questions. Elle prouve à chaque occasion qu'un débat apaisé, réfléchi et rationnel sur la condition de la femme, sur les violences sexuelles et sur la notion de consentement n'est pour l'instant qu'un mirage. « Ce n'est pas le moment » diront les plus blasés… Ils n'ont pas arrêté de le dire pour toutes les causes qui mériteraient d'être débattues…