Pénurie de carburant, pénurie de médicaments, plusieurs produits alimentaires rationnés ou manquants, nous sommes en train de normaliser, non pas avec la médiocrité (on l'est déjà depuis des lustres), mais avec une certaine qualité de vie que nous n'avons jamais connue, même dans les pires périodes de Bourguiba, Ben Ali et la troïka. Quand, il y a quelques mois, nous avons écrit et répété que la Tunisie était sur la voie de la libanisation, nous avons été critiqués, injuriés, insultés et menacés. Pour défendre le président Kaïs Saïed et sa politique de nouvelles approches différentes, des moins-que-rien et de faux sachants ont insulté pendant des mois les experts politiques, sociologiques et économiques et tenté d'entacher la crédibilité des médias qui les relaient. Ce nouveau mode de vie, composé de pénuries et de rationnement, n'est que le début. À l'instar du Liban, et de plusieurs pays africains et sous-développés, préparez-vous aux coupures d'électricité et de gaz, à vous séparer de vos produits hygiéniques et cosmétiques préférés, à ne plus acheter des chocolats de marque et à ne plus avoir de devises pour voyager. Vous pouvez insulter les experts, les chroniqueurs et les éditorialistes, ça ne changera rien à la situation qui vous attend. Les pénuries d'aujourd'hui ne sont que le prélude des pénuries de demain.
Quels sont les éléments qui me permettent d'avancer cela ? À cause de la guerre russo-ukrainienne, l'ensemble des pays européens avertissent leurs citoyens sur un possible rationnement de gaz et d'électricité. Les pays européens ont déjà peur, bien qu'ils disposent d'euros à volonté, que dire alors de la Tunisie qui n'en a que très peu ? Avez-vous vu la Steg ou le ministère de l'Industrie vous prévenir sur le sujet ? Même les politiques d'énergie renouvelable menées par les pays européens pour pallier les déficits d'énergie fossile ne suffiront pas à la demande de l'hiver prochain, que dire alors de la Tunisie qui n'a mené aucune politique sérieuse en la matière, alors que le pays est ensoleillé plus de trois cents jours par an ? Il y a quelques semaines, le président de la République s'est élevé contre l'importation de produits cosmétiques et de nourritures pour animaux. Le ministère du Commerce a réagi au quart de tour pour rendre difficile l'importation d'une série de produits. La liste touche même le dentifrice et le shampooing, pourtant hyper taxés. Le même stick de déodorant est vendu à 1,2€ en Espagne contre dix dinars approximativement en Tunisie. Il y a quelques mois, le président de la République s'est élevé contre les riches et tous ceux qui ont un train de vie aisé. Plus d'une fois, il les a assimilés, indirectement, à des fraudeurs et des corrompus. Par pur populisme, il a dit être fier de ne jamais s'asseoir aux côtés des riches ! Pourtant, force est de rappeler que les pauvres n'ont jamais rien créé. La richesse, l'emploi, la croissance, il n'y a que les riches qui les créent. C'est le cas partout dans le monde et depuis la nuit des temps. En tançant les riches et ceux qui ont un train de vie aisé, Kaïs Saïed et ses aficionados font peur aux investisseurs et aux promoteurs de projet. Avec cette politique de taux d'intérêt élevés, on encourage l'épargne plutôt que l'investissement. Or il n'y a aucune croissance à espérer avec cette politique. La Banque centrale, tout comme le président de la République, encouragent la paresse et l'assistanat. Kaïs Saïed, dans sa démarche, veut enlever aux riches pour donner aux pauvres. Par quelle logique doit-on enlever l'argent de ceux qui travaillent pour le donner à ceux qui ne travaillent pas ? Par la logique de la distribution équitable de la richesse et de la lutte contre les disparités sociales, vous répond-on. C'est très bien, continuons comme ça. Les riches iront travailler ailleurs et ils laisseront les pauvres se morfondre tous seuls dans leur pauvreté. On voit déjà partir les médecins et les ingénieurs. On ne compte plus les hommes d'affaires partis faire leur beurre au Maroc, en Europe ou au Canada. Les mêmes, pourtant, étaient ravis de rentrer au pays après 2011. Que d'espoirs gâchés ! C'est suffisant pour vous convaincre que ce qui nous attend est pire que ce qui nous arrive en ce moment ? Que la libanisation de la Tunisie est inéluctable ? Que Kaïs Saïed n'est pas l'homme de la situation, il est (à l'instar des islamistes) le fossoyeur de la Tunisie et de votre mode de vie ?
Pendant que vous faites la queue pour quelques litres de carburant ou que vous pleurez le décès d'un parent qui n'a pas eu son médicament, pensez à ces trois millions de Tunisiens qui ont voté « oui » au référendum et à ces milliers de Facebookers ignares qui ont insulté les experts et les chroniqueurs. Juste une pensée. Ces trois millions se sont laissé berner par la soi-disant intégrité de Kaïs Saïed, par son discours en arabe littéraire, par ses références religieuses et historiques relatant l'épopée arabo-islamique, par ses visites inopinées aux marchés et à l'avenue Habib Bourguiba. Ces trois millions se sont laissé berner par les photos de Kaïs Saïed dans les mosquées et par ses multiples promesses d'en finir avec les monopoles, la corruption, la spéculation, les fraudes… Aujourd'hui, solidement installé au pouvoir, Kaïs Saïed ne prend même plus la peine d'entretenir cette image. Zarzis est en forte effervescence après le décès de ses enfants en pleine mer et Kaïs Saïed n'a même pas pris la peine d'aller sur terrain. Il bougeait au quart de tour pourtant au lendemain de son élection. Malgré les nombreuses pénuries, Kaïs Saïed n'a pas dit un mot pour réconforter les Tunisiens et leur donner l'espoir d'un lendemain meilleur. Avant et après son élection, il multipliait les photos dans les mosquées où on le voyait pieux devant son Dieu. Fini ce temps-là ! Fini le temps de la piété et des mosquées. Kaïs Saïed est dans sa tour d'ivoire, totalement déconnecté des véritables préoccupations du peuple. Au mieux, il sort pour des diatribes insipides et anachroniques. Il ne peut rien faire de mieux, il ne connait rien de l'Etat et de sa gouvernance. Il est vide, il est inculte, il vit dans une autre époque. Pour calmer les esprits, il fera un remaniement. Son gouvernement composé d'opportunistes sera jeté comme un kleenex. Il sera son bouc émissaire pour justifier l'échec, comme les spéculateurs et les corrompus l'ont été pour justifier l'inflation et la pauvreté. La véritable résolution des problèmes attendra encore quelque temps jusqu'à la prochaine révolution.