On attend toujours les missiles prêts à être lancés contre les traitres, les corrompus, la misère ou la crise. On en vient presque à imaginer que les engins, depuis le temps, se désagrègent rongés par la rouille. Il faut dire que la Tête de l'Etat, ou ce qu'il en reste, fait du surplace, tourne en rond, enfermée dans un cercle sans fin à répéter encore et encore des paroles et des discours qui sonnent désormais creux. A dire que nous évaluons dans un théâtre de l'absurde, de basse facture, qui distord le sens commun et malmène les notions les plus simples et basiques. Le président de la République a phagocyté la dynamique politique. Il a cannibalisé le pouvoir et se repait à chaque sortie des restes de ses opposants. Il a clairement pour projet de détruire tout ce qui ne lui sied pas et de provoquer un grand remplacement fondé sur sa vision étrange. Il nous promet qu'en le suivant, on accédera à des sommets stratosphériques jamais atteints auparavant. Il est le personnage le plus vertueux qu'on ait connu, nous certifient ses admirateurs et de ce fait il fait la politique autrement pour nous mener sur la voix de la rédemption et de la félicité.
Concrètement, on n'a eu droit qu'à des slogans vides, creux, usés qui révèlent une impuissance et une incompétence incontestables dans la gestion des affaires du pays. « Le président de la République a assuré que ceux qui portent atteinte à l'Etat et ses symboles, ne doivent pas échapper à la justice. Il a souligné que manœuvrer au profit de forces étrangères n'accorde pas l'immunité à ces traitres et vendus ». Telles étaient les paroles présidentielles couchées dans un laconique communiqué lors d'une énième rencontre avec sa ministre de la Justice. Si un néophyte venait à lire ces quelques mots, il se serait étonné de leur agressivité, mais il n'aurait pas su que cela fait plus d'un an que le président nous les serine. Un disque rayé. A force, le sens des mots se perd. Ils se transforment ainsi en slogans creux.
Mais il y a pire. Confrontons ce leitmotiv au contexte. On a un président qui monte, encore et encore, sur ses grands chevaux et nous sort son arsenal d'accusations à mille lieues des préoccupations immédiates des citoyens. Il a pris la plume et a accouché de ces mots pour attaquer ses adversaires alors que la rue bouillonne littéralement. Des élèves qui n'ont pas eu cours depuis le début de l'année, des enseignants qui n'ont pas perçu de salaire, un Etat incapable d'honorer ses engagements… Pénurie de lait, de pommes de terre, de tomates, des Tunisiens qui cherchent en vain des médicaments vitaux disparus de la circulation, une hausse des prix stratosphérique… Des services publics devenus la honte de la nation… Des migrants irréguliers qui prennent la mer par milliers et qui meurent par centaines, des migrants légaux qui partent par milliers enrichir de leurs compétences d'autres contrées déjà riches. Tous fuient leur pays comme la peste dans l'espoir de vivre dignement et de garantir un avenir meilleur à leurs enfants… La mascarade du processus des élections législatives, les explicateurs qui s'écharpent… Un budget de l'Etat qui n'est toujours pas bouclé, des perspectives floues et un accord entre le gouvernement et le FMI dont personne ne connait le contenu… Des citoyens traités en sujets. C'est le gros de l'actualité de ces derniers jours. Le président, seul maître à bord pourtant, ne voit même pas l'intérêt d'en parler ou, soyons fous, de proposer des solutions, des pistes, des plans. Rien. Il n'avait peut-être pas tort quand il disait qu'il venait d'une autre planète. Nous serions tentés de dire qu'il y vit encore. En roue libre, le chef suprême avance à la dérive perdant pied avec la réalité.
C'est le moment de gloire des lunatiques et des incompétents en tout genre et à tous les niveaux, et ce n'est certainement pas le président de la République qui viendrait tirer vers le haut un pays qui s'enfonce, surtout pas avec des rengaines devenues coquilles vides.