Silence coupable des autorités éducatives du pays : face à quelque chose qui n'a rien d'un vulgaire fait divers, mais qui nargue l'enseignement laïque au cœur même de l'Ecole de la République, on fait tout pour étouffer une dérive sociétale aux couleurs et à l'accoutrement afghan. Dans son éditorial d'hier, notre journal a dénoncé cette pratique tenue secrète sous le titre : « Lorsque Daech investit les écoles ». La télé nous a aussi gratifiés d'images comme sorties des fonds ténébreux de la mouvance salafiste, où des « personnages » se prétendant enseignants et éducateurs, exhibent le modèle vestimentaire daéchien avec cette barbe touffue qui descend en deçà de la poitrine. Toujours à la télé, on a interpellé l'inspecteur régional pour l'Enseignement à Mahdia, mais ses réponses confuses n'ont guère éclairé notre lanterne. Il est lui-même taclé en direct par un militant des Droits de l'homme, à l'évidence bien informé quant à ses « manœuvres », depuis certaines suspicions de « corruption », jusqu'à la complaisance de ce qui se pratique dans ces deux écoles de Chorbane. Monsieur l'inspecteur a alors assuré que les enseignants allaient être rappelés à l'ordre, tout en promettant d'essayer de délimiter les responsabilités des directeurs de ces établissements. Puis, silence-radio. Prétendre pouvoir rappeler à l'ordre ces Daéchiens, attendre d'eux qu'ils troquent leur accoutrement afghan contre un costume-cravate, c'est mal connaitre l'âme maléfique habitant ces personnages surgis d'un autre monde. Ils ont une mission bien précise : formater nos enfants, les éloigner des supports civiques de l'école, incruster dans leur faible mental les « vertus » de l'intégrisme et la haine pour les valeurs civilisationnelles. Déni républicain et passe-droits Il aura fallu une enquête courageusement menée par des journalistes de Radio-Monastir (à la suite de plaintes formulées par des parents d'élèves) pour que la Ligue tunisienne des Droits de l'homme creuse encore plus dans cette affaire, et le constat est tout simplement terrifiant. Les filles et les garçons sont séparés. Les prières dans ces écoles se tiennent durant les heures de cours. Les programmes scientifiques et pédagogiques sont rayés. Les images pédagogiques sont interdites et ne sont pas accrochées au mur... Toute la panoplie de l'obscurantisme est en somme assurée. Se faisant l'écho de la dénonciation formulée par la LTDH, l'Observatoire national pour la Défense du caractère civil de l'Etat réagit mettant en garde contre la propagation de la pensée daéchienne. Quant à la délégation de Protection de l'Enfance dans la région, à l'évidence, elle est aux abonnés absents... La LTDH aura eu beau saisir le ministère des Affaires religieuses et le ministère de l'Education : au moment de l'écriture de ces lignes, les deux départements font comme l'autruche, alors même que la Ligue n'a pas eu peur des mots, dénonçant un authentique « coup d'Etat idéologique ». En fait, le ministère des Affaires religieuses pourrait brandir sa parade : cela s'est passé dans des écoles publiques qui ne relèvent pas de ses compétences. La balle est, donc, dans le camp du ministère de l'Education. Vraisemblablement, il se décharge sur le très clivant Inspecteur régional de l'Enseignement. Parce que, au fond, il ne sait trop quelles sont « les parties » derrière cet authentique déni républicain. Et, gare à remonter jusqu'aux stratosphères, ces arcanes occultes et intouchables ayant donné naissance à l'enseignement coranique en Tunisie dans ses outrances extrémistes, endoctrinant les gosses pour en fabriquer, à terme, des bombes djihadistes. Devions-nous croire, un moment, que cette mouvance allait être éradiquée avec le démantèlement de la sinistre école du Régueb ? Souterrain, « le coup d'Etat idéologique » se déploie tout en silence. Et, de surcroît, l'enseignement des outrances drapées de faux préceptes religieux migre, maintenant, au sein même de l'école de la République. Toujours aussi fidèles aux préceptes d'Al Qaradhaoui Il s'agit, en fait, de toute une stratégie dans le pur style de ce que prône le tout puissant Al Qaradhaoui, maitre à penser de la confrérie mondiale des « frères musulmans » et que Abir Moussi est en train de combattre sans relâche. Il s'agit de lavage de cerveaux. Bien plus que d'endoctrinement. Déjà, depuis la révolution, les écoles coraniques ont foisonné dans des proportions exponentielles, sans que les gouvernements successifs n'aient pensé à réglementer le secteur, à imposer, dans cet enseignement atypique, un Savoir brassant les sciences et les sciences humaines. Avec la bénédiction d'Erdogan, avec le précieux concours de Qatar Charity, les écoles coraniques sont à un nombre avoisinant les 2 mille, (sous couvert d'« écoles coraniques publiques », admirez la supercherie sémantique), tandis que les « élèves » qui les fréquentent sont au nombre de 48 mille (chiffres de 2019 et qui ne sont curieusement pas actualisés). A l'époque, le ministère des Affaires religieuses nous proposait d'avaler cette couleuvre : « Ces écoles sont en phase avec les avancées pédagogiques et l'enseignement qui y est dispensé reposera sur des approches islamiques et des approches tenant aux Droits de l'homme. L'objectif consiste à ancrer les valeurs arabo-musulmanes chez l'enfant ». Il serait bon, il est même souhaitable que nos enfants soient imbus des Lumières de la civilisation arabo-musulmane, comme cela avait été toujours enseigné dans l'école publique, et dont il ne faut pas oublier qu'elle prodigue également l'apprentissage du Coran, depuis déjà la création de l'école de la République. Or, là, nous sommes tout autant dans l'endoctrinement que dans l'ignorance et le déni de la connaissance universelle. Nous aurons également deux générations séparées dans deux univers anthropologiques et ethnologiques tout à fait antithétiques. Quelle société nous aurons alors ? Nous aurons deux sociétés et, déjà, nous sommes en butte avec cette dichotomie. Et l'Etat dans tout cela ? Républicain ? Civil ? Ou religieux sans l'avouer ouvertement ? Cet Etat qui a gracié 12000 enseignants salafistes (l'amnistie générale de 2011) et qu'on a dispatchés à travers tous les établissements publics ? L'ennui, c'est que l'enseignement aux mains des salafistes-daéchiens n'a pratiquement rien à voir avec les valeurs de tolérance induites par le Livre saint et la civilisation arabo-musulmane. Anthropologiquement parlant, cela tend au final à installer une société primitive. Et comme le dit le célèbre anthropologue français, « Les sociétés primitives ne sont pas seulement des sociétés sans Etat, mais des sociétés contre l'Etat ». R.K.