Le terme « parti », signifie en langue française, un groupe de personnes réunies par une communauté d'opinions, d'intérêts. Elles sont du même parti ; elles ont les mêmes idées. D'ailleurs, on dit « esprit de parti » pour signifier un esprit aveuglément partial, sectaire en ce qui concerne les orientations du parti ou « tirer parti de quelque chose, de quelqu'un », en profiter, l'utiliser au mieux. La signification anglosaxonne du mot « party » se réfère à un rassemblement social d'invités, pour manger, boire et s'amuser ou « remplir son temps » entre-soi. Ces deux aspects étymologiques convergent d'une part vers un éloignement du fait de « servir l'intérêt général » et d'autre part vers un regroupement pour servir des intérêts individuels similaires. Au plan historique, les trois siècles de vie des partis politiques n'ont pas généré beaucoup de bien aux peuples qui n'ont rien connu qui ressemble à la démocratie. Au contraire, c'est le mal qui est recensé comme résultante de la vie des partis. Les populations paient le prix des choix, des erreurs et des crimes commis par les partis, alors que les leaders de ces derniers jouissent des avantages. Les régimes autocrates sont un bon exemple. La naissance des partis politiques a eu lieu d'abord en Angleterre à travers la persistance de l'opposition creuse entre Whig[1] et Tory[2], puis en France, après la Révolution française de 1789. C'est alors que le système des partis a contaminé comme un parasite la révolution plébéienne contre l'aristocratie pour remplacer cette dernière par une forme similaire mais défigurée. Au début, la genèse des partis s'est organisée sous forme de Clubs à l'instar de la Société des Amis de la Constitution rebaptisée Club des jacobins qui a offert un espace de débat pour environ 6.000 sociétés de pensée[3] ou à l'instar du Club des cordeliers qui s'est autoproclamé surveillant et critique de l'assemblée, un peu dans le rôle de l'opposition.
Cependant, l'esprit de la guerre et de la guillotine transformèrent ces clubs en partis totalitaires au sens de Mikhaïl Tomski : « un parti au pouvoir et tous les autres en prison ». Une transformation qui a révélé que la nature des partis politiques incarne organiquement une dérive totalitaire. Telle une cellule cancéreuse qui pour survivre, doit dévorer les cellules voisines et devenir une mégacellule polynucléée. C'est cette dérive naturelle du parti vers le parti unique quel qu'en soit la tendance religieuse ou de gauche ou de droite, qui est à l'opposé de ce que doit être un parti, c'est-à-dire « un instrument pour servir une certaine conception de la vie publique[4] ». Quels biens découlent des partis politiques ? Je n'en vois pas ! Il ne faut même pas s'attendre à un quelconque bien de la part des partis politiques. En effet, « un bon arbre ne peut jamais porter de mauvais fruits, ni un arbre pourri de beaux fruits ». Les slogans brandis par les partis politiques relatifs au Contrat Social se sont toujours arrêtés au titre de ce livre sans jamais s'intéresser à son contenu. Une sorte d'usurpation, de même nature que les doux mensonges que l'on connait sous l'appellation de « promesses électorales ». Résultat : l'exercice concret des partis est à l'antipode des termes du Contrat social. La cause semble être liée à la passion collective qui anime la vie des partis politiques, bien éloignée de toute raison. Tout comme les crimes et les maladies psychosociales qui s'inscrivent dans la conception morale de l'aliénation mentale au sens de Michel Foucault[5]. Le raisonnement de Rousseau reste valable tant que la raison prédomine, mais dès que la passion (l'âme des partis politiques) interfère, il devient caduc. La passion singulière se conjugue au pluriel pour devenir une passion collective que Simone Weil décrit comme suit : « la passion collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus puissante qu'aucune passion individuelle ». Telles sont les impulsions des partis politiques. Pour ces derniers, la priorité n'est ni la justice, ni l'intérêt général, ni l'égalité, et encore moins la vérité. La priorité pour les partis, c'est de (a) fabriquer «la passion collective » à travers la propagande après avoir cueilli la frustration de la population, (b) écraser la pensée individuelle en la soumettant à la pensée collective du parti et sa pression (le parti fournit à l'individu sa pensée), et (c) garantir sa propre croissance et sa domination comme but ultime. Ainsi, la priorité ne semble pas en faveur du bien public. Elle est plutôt centrée sur le développement et la domination du parti à travers la conquête du pouvoir de manière progressive et illimitée, quelle que soit la tendance politique de celui qui gouverne. Ce triple caractère (a)+(b)+(c) est une validité de fait qui décrypte la nature totalitaire des partis, en germe et en aspirations. Ceux qui ne le sont pas attendent tout simplement leurs opportunités de mues et de métamorphoses.
C'est cette domination vorace recensée chez les partis politiques qui porte en elle les éléments de leur déchéance. Une tendance dont les racines remontent à la violence plébéienne couplée à la violence aristocratique anglosaxonne qui explique le génome des partis politiques que Simone Weil décrit en disant que « le totalitarisme est le péché originel des partis politiques[6] ». Quelle serait alors leur utilité sociale ? La justice, la vérité et l'utilité publique constituent des biens qui font converger unanimement les individus. C'est le slogan utopique annoncé par les partis politiques. Les intérêts, les erreurs et les crimes les font diverger, au contraire. « La démocratie et le pouvoir du plus grand nombre ne sont pas des biens. Ce sont des moyens en vue du bien. Le véritable esprit de la révolution de 1789 consiste à penser non pas qu'une chose est juste parce le peuple la veut mais à certaines conditions, le vouloir du peuple a plus de chance qu'aucun autre vouloir d'être conforme à la justice[7] ». Donc, le processus démocratique n'est pas de choisir ses représentants ou ses collectivités irresponsables d'un point de vue d'utilité sociale, mais c'est d'exprimer son vouloir par rapport à la vie publique. Or, rares sont les fois où un peuple a exprimé son avis sur la vie publique. La dérive est partout et ce qui échappe aux intérêts particuliers (corruption) est livré aux passions collectives (démagogie, propagande et populisme), lesquelles sont systématiquement et officiellement encouragées par les partis au pouvoir. La démocratie apparait ainsi non seulement plus utopique que jamais, mais elle fragilise, en plus, la notion de république comme mode d'organisation dans lequel le pouvoir est exercé par des représentants du peuple, puisque celle-ci (la République) est incapable de protéger son peuple ni contre la « passion collective », ni contre la « pensée collective » ni contre la tendance hégémonique des partis politiques. Le cycle de retournement entre fin et moyens est continuellement actif selon les conditions, les opportunités et les intérêts individuels et collectifs, convergents et divergents, au sein des partis (argent, pouvoir, Etat, grandeur nationale, production économique, diplômes universitaires, renommée académique...). Même la prétendue doctrine des partis est une autre chimère qui ne peut exister de manière rationnelle. En effet, aucun homme ne peut exprimer de manière globale et précise la doctrine d'un parti comment voulez-vous qu'une collectivité puisse le faire ? Le terme « doctrine d'un parti » s'avère une bulle sans contenu. C'est un terme creux du fait de « l'absence de la pensée, dans un état continuel d'impuissance qu'il attribue toujours à l'insuffisance du pouvoir dont il dispose[8] ». D'où l'échec continu. Ce vide de la pensée s'étend à la conception du bien public inhérente à tel ou tel parti. Vide qui crée des affinités et des alliances d'une part entre le totalitarisme et le mensonge et d'autres part, entre les faux concurrents (les autres partis qui gouvernent) pour défendre leur statut de décideurs et leur système de gestion de la chose publique, juste par instinct de survie. Les partis semblent être des fictions publiquement et officiellement constituées pour tuer à la racine le sens de la vérité, de la justice et de l'égalité. D'ailleurs « si l'on confiait au diable l'organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux[9] ».
Les dérives totalitaires organiques des partis politiques acculés par la réalité et l'absence de résultats probants de leurs activités politiques les poussent au discrédit et à terme, à l'écroulement ou à la suppression. Toute la difficulté est de savoir par quoi les remplacer. Mais au moins, nous savons à présent que les partis constituent un mal non nécessaire. Pour le cas de la Tunisie, l'apparence de ce totalitarisme a été masquée par des formations partisanes qui ne sont que des partis satellites du parti dominant que ce soit de manière directe ou indirecte (par le biais de militants en immersion dans des « partis qualifiés d'opposition », ou par des partis de la même mouvance). Ce multipartisme apparent sert à réaliser tout ce qui n'est pas politiquement correct ou ce qui est rétrograde en matière d'acquis sociaux et sert aussi à consolider le monopartisme ou la position du parti qui accapare le pouvoir et qui tend à exercer son totalitarisme[10]. La tendance intrinsèque de déperdition et d'écroulement des partis politiques devient de plus en plus palpable. Les partis classiques de gauche, ou de droite et leurs intermédiaires sont cannibalisés par des factions promettant un renouveau qui n'apportera in fine, rien de concret à part marcher dans les sillons des partis agonisants tout en se débarrassant des « dinosaures » de la politique qui risquent de faire de l'ombre à la nouvelle génération, ou au meilleur des cas en les transformant en « parrains ». On parle alors, de suppression. Dès lors, regarder ou écouter un politique s'évertuer à trouver les arguments qui diffèrent son parti et son programme des autres partis devient amusant, parce que la finalité commune de tous les partis n'est que totalitarisme existentiel nécessaire pour garder le système des prévilèges. Est-ce encore honorable de faire de la politique ?
[1] Le parti whig désigne un parti politique apparu au XVII ème siècle en Angleterre qui, à compter de la fin du XVIIe siècle, militait en faveur d'un parlement fort en s'opposant à l'absolutisme royal. Il s'opposait à la mouvance Tory de l'époque. Le terme, apparu au XVIIe siècle, désigne à l'origine un brigand écossais. [2] Le terme Tories (au singulier : Tory) désigne les partisans d'une philosophie politique conservatrice britannique. [3] La notion de libre-pensée, apparue pour la première fois dans un discours de Victor Hugo de 1850, désigne un mode de pensée et d'action débarrassé des postulats religieux, philosophiques, idéologiques ou politiques, mais se fierait principalement aux propres expériences existentielles du libre-penseur, à la logique et à la raison (rationalisme, empirisme pour se faire une opinion, doute pour éviter tout dogme). [4] Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques (Paris: CLIMATS, 2006). [5] Laurence Guignard, « Sonder l'âme des criminels : expertise mentale et justice subjective au tournant des années 1860 », Revue d'Histoire des Sciences Humaines 22, no 1 (2010): 99‑116, https://doi.org/10.3917/rhsh.022.0099. [6] Simone Weil est une philosophe humaniste française, née à Paris le 3 février 1909 et morte à Ashford le 24 août 1943 à l'âge de 34 ans par suite de la tuberculose et ses incidences psychophysiques. Elle est différente de Simone Veil la femme politique Française née en 1927 et décédée en 2017. [7] Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques. [8] Weil. [9] Weil. [10] Wafa Tamzini, « Le rôle des partis politiques en Tunisie : entre quête du pouvoir et pacification sociale », -Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, no 16 (16 novembre 2018): 69‑78, https://doi.org/10.4000/crdf.311.