« Nous sommes en guerre » avait déclaré le chef de l'Etat hier en visitant la centrale laitière de Délice. En guerre contre quoi ? Contre qui au juste ? Kaïs Saïed a sa petite idée sur la réponse et il refuse qu'on lui en propose une autre. Non ce ne sont pas les vaches qui sont en cause, « celles dont certaines donnent du lait écrémé alors que, d'autres produisent du demi-écrémé ». Ce ne sont pas non plus les compensations de l'Etat non payées, les problèmes de stockage et de distribution, les mauvaises conditions météorologiques, les pénuries de fourrage… Rien de tout cela. Kaïs Saïed n'en a que faire des explications techniques que les professionnels du secteur laitier lui donnent. La réponse est manichéenne selon lui. Seuls les saboteurs sont à blâmer. « Ceux qui cherchent à provoquer des crises afin de porter atteinte au peuple tunisien ! […] ceux que le peuple a rejetés et dont il veut se débarrasser. Ceux qui ont commis des crimes contre le peuple ! »
Peu importent les explications, concrètes et étayées, données par les professionnels sur les conditions de travail exécrables dans lesquelles ils travaillent. Des conditions qui peuvent – et doivent – être améliorées. Peu importent aussi les décisions prises par le gouvernement, en totale contradiction avec l'essence même des discours présidentiels. Que Kaïs Saïed refuse d'entendre parler de pénurie de fourrage hier et que la ministre du Commerce évoque cette problématique pour expliquer la crise du lait n'est pas une chose dont il faut désormais s'étonner. Le président n'est pas là pour énoncer des vérités, mais uniquement pour alimenter les fantasmes populaires. Ou plutôt les siens.
Kaïs Saïed doit absolument dire ce qu'il a à dire et il est évidemment plus chevaleresque et palpitant de parler de forces de l'ombre, d'ennemis de la nation et de taper sur les complotistes que de délimiter des responsabilités et des responsables et de trouver de vraies solutions. Des explications simplistes qui expliqueraient tout selon Kaïs Saïed. Il avait expliqué de la même manière la hausse des prix des fruits et légumes. Rappelez-vous qu'il avait appelé les agriculteurs, tout simplement, à « vendre leurs produits à des prix couvrant les frais de production », pour éviter la hausse des prix et les pénuries observées ces dernières semaines. Saïed avait indiqué, après une visite au marché de la ville de Aousja, que « les fruits et légumes peuvent être vendus à des prix couvrant les frais de production des agriculteurs » et que « ceci est la preuve que la pénurie n'est pas expliquée par un manque de produits mais qu'elle résulte du comportement des spéculateurs et des réseaux de distribution ». On aura beau lui expliquer, le président de la République ne veut rien savoir. C'est plus facile et confortable pour lui d'accuser des fantômes et de prononcer des discours pompeux que de réellement se retrousser les manches. Plus encore, le « roi nu » n'est alerté par personne. Ni cheffe de gouvernement pour lui faire remonter des dossiers, ni conseillers pour lui expliquer les choses, ni conseil des ministres pour s'entretenir avec lui. Personne n'est là pour dire au chef de l'Etat qu'il est nu face à la crise et que les ennemis sur lesquels il dépense son énergie – et la nôtre – à taper, ne sont pas là où il pense.
Au final, il faudra expliquer aux citoyens l'utilité pratique, réelle et opérationnelle d'une visite présidentielle de terrain. Visite lors de laquelle le chef de l'Etat prononce des discours déjà préparés d'avance sans se soucier des explications qu'on lui donne et où il lance ses mises en garde en tant qu' « ultime avertissement » sans les accompagner de la moindre action visant à y mettre fin…. L'explication derrière cela serait beaucoup plus simple que ce qu'il parait. Le chef de l'Etat ne cherche pas à trouver des solutions, tout ce qu'il lui importe c'est de taper sur ses adversaires politiques et de maintenir sa popularité auprès des citoyens en leur disant exactement ce qu'ils veulent entendre…mais sans jamais avoir l'intention de faire quoi que ce soit pour y parvenir….