De plus en plus d'observateurs de l'évolution de la situation économique et financière du pays sont enclins à l'alarmisme. Ils n'ont pas tort. Sauf que, les raisons qu'ils invoquent ne sont pas celles dont il convient particulièrement de prendre garde. La dernière dégradation de la note souveraine du pays par l'agence de rating Moody's n'ajoute pas grand-chose à la situation qui prévalait auparavant. Le pays était et demeure dans la classe « C », celle des pays à risque très fortement spéculatif. La dégradation d'un sous-groupe à un autre, du Caa1 à Caa2 ne signifie pas que le pays est dans l'impossibilité d'emprunter mais qu'il ne pourrait emprunter qu'à un taux forcément supérieur à ce qui pouvait être envisagé auparavant. L'impact de la récente dégradation de confiance, à tout le moins du crédit de l'Etat à honorer ses engagements n'est somme toute que relatif par comparaison à la décision de la même agence de dégrader la note de quatre établissements de crédit mastodonte, BIAT, STB, Banque de Tunisie et Amen Bank en l'occurrence. Il est probable que cette dégradation soit la conséquence directe de celle ayant touché le risque souverain de la Tunisie. Ces banques pouvant détenir un volume conséquent de créances d'Etat qui risque de fragiliser. Il est tout aussi probable que cette dégradation ait un « impact défavorable sur le dénouement normal des transactions de commerce extérieur initiées par les banques tunisiennes ». Le propos émane du communiqué issu de la dernière réunion du Conseil d'administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) tenue le 1er février 2023. Ici, on n'est plus face à un problème de finances publiques, aussi sérieux soit-il. Ici, on est face à un scénario autrement plus effrayant ; celui d'un ralentissement contraint de l'activité économique du pays parce que tout un chacun exigera d'être payé au comptant, en cash si possible. Là, il y a de quoi s'alarmer.
Dans son dernier communiqué, le Conseil de la BCT n'alerte plus. Il s'alarme sur le sort des finances du pays si d'aventure le FMI retarderait davantage son appui financier au pays. Car, il ne faudra pas compter plus sur l'autorité monétaire pour satisfaire davantage les besoins de financement de l'Etat. Durant ces deux dernières années, la BCT de tous les instruments de la politique monétaire pour mobiliser les ressources de financement du budget de l'Etat. Une fois par le biais de l'appel d'offre, une fois dans le cadre d'opération d'Open market, une autre fois le truchement des facilités permanente de prêt à 24 heures, une autre fois grâce à une opération de réglage fin d'injection de liquidité. La BCT est devenue l'unique voie de recours du gouvernement quand il est financièrement aux abois. L'encours global de refinancement de l'institut d'émission est passé durant 2022 de 10,3 milliards de dinars à 14,6 milliards de dinars. Plus encore, l'endettement de l'Etat vis-à-vis du système bancaire à plus que doublé en cinq ans. Il est passé d'environ 15 milliards de dinars fin 2017 à plus de 32 milliards de dinars en novembre 2022. Durant cette période, le système bancaire a soutenu plus l'Etat que les autres agents économiques (entreprises et ménages). Ainsi, la part des créances nettes sur l'Etat rapportée à l'ensemble des crédits intérieurs accordés par les banques est passé de près de 15% fin 2018 à près de 23% fin novembre 2022 (cette proportion était de 8,6% fin 2010). Tout cela n'aurait pu être réalisé sans le soutien tacite de l'autorité monétaire. Pouvait-elle faire autrement ? D'autant que cette situation n'a pas été sans incidence sur le volume de création monétaire, ce générateur potentiel sinon avéré d'inflation.
En tout cas, ces éléments laissent à penser que durant ces derniers temps, la priorité de la BCT n'était pas la lutte contre l'inflation mais le maintien de la stabilité financière du pays. Malheureusement, le soutien de l'institut d'émission, à tout le moins sa bienveillance vis-à-vis du faramineux recours de l'Etat à l'endettement intérieur pour palier ses difficultés d'emprunts extérieurs a atteint ses limites. Ce que craint l'autorité monétaire est qu'« un recours accru à l'endettement sur le marché intérieur, au cours du premier trimestre 2023, risque d'exacerber les pressions sur la liquidité et de favoriser les arbitrages entre les différents placements pouvant désarticuler l'activité des marchés bancaire, financier et des assurances ». Autrement dit, c'est le financement de l'activité économique en général qui risque de subir un sérieux frein, outre le fait qu'il peut fragiliser l'assise du système bancaire.
Dans ces conditions, l'unique alternative qui resterait à l'Etat est de céder quelques biens. De privatiser et ne plus s'endetter pour mobiliser des ressources dans l'attente d'un appui du FMI et partant d'autres bailleurs de fonds.