Qui a dit que la Tunisie avait besoin de l'appui ou de l'aide de la Banque mondiale ? Nous, Tunisiens, sommes parfaitement capables de subvenir à nos besoins et de réformer notre pays tous seuls comme des grands. Ce n'est certainement pas cette institution capitaliste qui va nous y aider. D'ailleurs, la preuve donnée par le pouvoir en Tunisie est éclatante : depuis l'annonce de la suspension du cadre de partenariat avec la Tunisie, aucune autorité nationale n'a évoqué le sujet ! Ce sont le vice-président de la Banque, Férid Belhaj et le représentant de la BM en Tunisie, Alexandre Arrobio, qui se contorsionnent pour expliquer que la coopération avec la Tunisie n'est pas suspendue. Ni la présidence de la République, ni celle du gouvernement et encore les ministères n'ont réagi à cette nouvelle. C'est bien la preuve que nous n'avons pas besoin de la Banque mondiale. C'est que nous avons nos propres sources de financement et nous avons les idées nécessaires pour changer le modèle économique mondial. C'est dans cette optique que la Tunisie a inventé le concept de « chariket ahleya » ou entreprises communautaires. Il s'agit d'une forme de société qui permet aux habitants d'une zone donnée de s'associer, une action chacun, pour créer de la valeur et faire bosser du monde. Le tout avec l'appui de l'Etat et sa surveillance à travers le gouverneur. Bon, pour le côté innovant il faudra repasser car les intentions de création de chariket ahleya concernent des petits projets agricoles ou forestiers ainsi qu'un excellent projet de transport de phosphate par la route. Nous suivrons avec attention ce dernier projet d'ailleurs. Mais quoi qu'il en soit c'est un bel effort entrepris par l'Etat tunisien et par le président de la République pour tenter de s'extraire de ce monde de brutes dans lequel nous vivons. Notre Etat veut nous faire parvenir à cette situation de félicité où tout le monde est riche, tout le monde est actionnaire, l'argent coule à flot sans même besoin de se tuer à la tâche. En prime, on pourra tourner le dos aux institutions de Bretton Woods au nom de la souveraineté nationale. Il est vrai que pour l'instant nous avons plutôt intérêt à la mettre en veilleuse question souveraineté vu que la Banque mondiale a financé nos récents achats de blé par exemple et participe à injecter de l'argent directement dans les poches des foyers les plus défavorisés. De l'autre côté, cela fait des mois que le gouvernement tunisien est en pourparlers avec le Fonds monétaire international pour qu'il veuille bien nous prêter quatre sous pour continuer à payer les salaires et pour garantir un minimum d'approvisionnement en produits de base. A part ça, et quelques bisbilles avec les Italiens, notre souveraineté est saine et sauve, soyez en sûrs !
Reste évidemment le problème épineux du financement des chariket ahleya. Là où les startups par exemple se cassent la tête à organiser des levées de fonds, l'Etat tunisien a rapidement trouvé une meilleure solution : créer une commission de conciliation nationale qui va récupérer l'argent spolié aux Tunisiens pour l'injecter ensuite dans les chariket ahleya. Avouez quand même que l'on frôle le génie en termes d'ingénierie financière. Cette commission a été chargée par le président de la République lui-même, le 13 janvier dernier d'aller récupérer pas moins de 13.500 millions de dinars, et « pas un dinar de moins », d'argent du peuple en six mois. Nous sommes le 8 mars (bonne fête à toutes les femmes) et pas encore de milliers de milliards en vue. Mais ne soyons pas inquiets, car il faut avoir foi en notre président de la République et il faut le soutenir comme nous l'a fortement suggéré le ministre de l'Intérieur, sans quoi on ferait partie des traitres et des vendus en compagnie des hommes d'affaires, des hommes de médias, des syndicalistes et des politiciens. Comme l'a dit le président Kaïs Saïed, la mondialisation a atteint ses limites et il faut réinventer de nouveaux modèles. Le concept de chariket ahleya s'inscrit dans cette logique d'approches non traditionnelles prônée par le chef de l'Etat. Il y a même un budget prévu au financement de ses entreprises dans la loi de finances 2023 qui, en contrepartie, a alourdi la fiscalité des entreprises classiques. Le gouvernement sait comment administrer efficacement l'argent du contribuable, à tel point qu'il n'a besoin de ne consulter personne avant d'y procéder.
Grâce à la trouvaille des chariket ahleya, bientôt nous n'aurons plus besoin de ce prêt du FMI derrière lequel on court depuis deux ans et nous serons en mesure de produire de la richesse pour nous, à partager entre nous. Grâce à cette idée lumineuse on pourra montrer au monde ce qu'est la réelle souveraineté et créer un îlot de bonheur dans le marasme ambiant. Il suffit d'y croire et d'attendre les milliards que va ramener la commission dans à peine quatre mois. Courage !