Le ministère des Finances vient de publier les résultats provisoires de l'exécution du budget de l'Etat à fin décembre 2022. Des chiffres très éloquents sur la situation réelle de l'économie tunisienne. Business News fait le point. À première vue, et en se référant aux données communiquées, les performances réalisées au niveau du budget sont meilleures que celles prévues dans la loi de finances rectificative 2022, le déficit budgétaire étant moins important qu'attendu (-1,08%) ainsi que les dépenses (-0,71%). Mais, dans les faits, nous sommes loin des prévisions de la loi de finances 2022 : le déficit budgétaire s'est aggravé de 17,94% et les dépenses ont augmenté de 7,17%. Par rapport à 2021, le déficit s'est aggravé de 9,91% passant de -9,99 milliards de dinars fin 2021 à -10,98 milliards de dinars fin 2022. Les ressources budgétaires ont augmenté de 22,19% passant de 33,55 milliards de dinars fin 2021 à 40,99 milliards de dinars fin 2022, un peu moins que ce qui été prévu dans LFR 2022. Pour leur part, les dépenses se sont accrues de 16,35%, évoluant de 43,44 milliardss de dinars fin 2021 à 50,55 milliards de dinars fin 2022.
La plus grosse rubrique de dépense demeure la masse salariale avec plus de 21,12 milliards de dinars dédiés (un peu plus de la moitié des ressources collectées). Les dépenses d'intervention ont augmenté de 42,40% par rapport à un an auparavant. Les dépenses d'investissement sont restées presque identiques entre 2021 et 2022. Les dépenses de la compensation ont presque doublé par rapport à 2021, atteignant près de 12 milliards de dinars, le même montant prévu dans la LFR 2022 et en hausse de 65% par rapport à LF2022 : 3.771 MD pour la compensation des produits de base, 7.628 MD pour la compensation des carburants et 600 MD pour la compensation relative au transport. Les charges de financement relatives à l'intérêt de la dette ont augmenté de 25,95% passant de 3.701,3 MD fin décembre 2021 à 4.661,8 MD fin décembre 2022, 2.917,5 MD relatifs à la dette intérieure et 1.744,3 MD relatifs à la dette extérieure.
L'Etat tunisien a réussi à mobiliser 18,16 milliards de dinars de ressources d'emprunt à fin décembre 2022 sur les 21,19 milliards de dinars prévus dans la loi de finances rectificative 2022 (-1,8 milliard de dinars que les prévisions). 10,5 milliards de dinars proviennent de l'emprunt intérieur, soit 1,22 milliard de dinars de plus que ce qui a été prévu dans la LFR 2022 et +3,17 milliards de dinars dans la LF2022. 7,65 milliards de dinars proviennent d'emprunts extérieurs, soit moins de 4,26 milliards de dinars que ce qui a été prévu dans la LFR 2022 et moins cinq milliards de dinars dans la LF2022. Pour l'emprunt extérieur, il s'agit majoritairement d'appuis budgétaires extérieurs à hauteur de 5,61 milliards de dinars, dont 2,09 milliards de dinars de l'Afreximbank, 1,48 milliard de dinars de l'Algérie et 1,61 milliard de dinars d'emprunts extérieurs affectés aux projets de l'Etat. L'Etat tunisien a aussi réussi a collecté 1,38 milliard de dinars de dons.
Le pays a remboursé 14,44 milliards de dinars en tant que service de la dette : le principal étant situé à 9,78 milliards de dinars, dont 5,53 milliards de dinars de la dette intérieure et 4,25 milliards de dinars de la dette extérieure, et un intérêt de 4,66 milliards de dinars. L'encours total de la dette publique a atteint 114,79 milliards de dinars fin 2022 sur les 115,96 milliards de dinars prévus dans la loi de finances rectificative 2022 et représentant 79,4% du PIB du pays.
Premier constat, à propos du sujet qui fâche : la mobilisation de ressources d'emprunt. L'Etat tunisien a réussi à minimiser la casse grâce aux appuis budgétaires reçus, n'ayant pas réussi à conclure un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), et grâce aux emprunts intérieurs. Le hic, c'est que le recours intensif au marché intérieur l'a épuisé et a accentué l'effet d'éviction du secteur privé du marché du crédit alors qu'il souffre déjà du resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Dans ce cadre, Taoufik Baccar a affirmé en décembre 2022 que « l'emprunt auprès des banques tunisiennes provoquait un effet d'éviction. L'Etat se transformait en concurrent de l'ensemble des acteurs économiques au niveau des prêts et ceci conduira à l'exclusion de certains d'entre eux ». Une grande question perdure : qui a payé les frais du non bouclage de budget et des 1,8 milliard de dinars manquant sur les prévisions ? En examinant de près les chiffres, on constate que les dépenses d'investissement sont celles prévues, la masse salariale est pratiquement la même et même celle de la compensation. Alors qui a-t-on sacrifié ? Concrètement, aucune réponse officielle ne sera fournie, avec le manque de communication du gouvernement et l'absence de vis-à-vis pour la presse, au sein de la présidence du gouvernement et dans plein de ministères. Mais ce sont généralement les fournisseurs de l'Etat et les bénéficiaires de la compensation qui trinquent. Business News a vérifié auprès de certains d'entre eux. Tout d'abord, on nous confirme que les industriels du secteur laitier n'ont pas reçu la compensation depuis décembre 2021, soit quinze mois sans comptabiliser le mois de mars 2023, soit 300 MD d'impayé. Les centrales de collectes de lait (qui payent les agriculteurs) n'ont pas reçu deux trimestres soit 40 à 50 MD. Idem pour les boulangers. L'Etat n'a pas honoré ses dus depuis quatorze mois qui s'élèvent à 258 millions de dinars. 3.317 boulangeries sont concernées. Bien sûr ces retards ont obligé les professionnels à recourir à l'emprunt pour combler ce manque de trésorerie (alors que le taux directeur a atteint 8%), mais ils ont atteint les limites de leurs capacités d'emprunt.
Autres victimes : les fournisseurs de l'Etat, dont certains n'ont pas été payés pendant plusieurs mois et qui font face à la faillite, car n'étant plus capables de payer l'impôt et les charges sociales, l'Etat ne les payera plus. Comble de l'ironie. Bien sûr, ces sociétés ne peuvent pas payer leurs fournisseurs, ce qui impactera ces derniers et toute la chaîne à cause de la mauvaise gestion de l'Etat. À titre d'exemple, et selon nos sources, le montant que doit l'Etat au secteur du BTP est de l'ordre de 400 à 450 MD, un chiffre à prendre avec des pincettes indique notre interlocuteur. Cela dit, il a affirmé que les arriérés de l'Etat vont de six mois à deux ans.
Les finances publiques sont en souffrance, depuis plusieurs années. La crise s'est aggravée en 2022 avec la non-conclusion de l'accord avec le FMI. En 2023, les risques sur les finances sont encore plus importants. D'ailleurs, plusieurs économistes tunisiens ont tiré la sonnette d'alarme. Idem au niveau international, plusieurs pays amis ont exprimé leurs inquiètes, et redoutent carrément l'effondrement de l'économie.