Des mois de contestation, de grève, de colère et d'indignation viennent de s'achever dans l'humiliation. Les enseignants du secondaire ont perdu une énième bataille dans leur guerre contre le ministère de l'Education. Lundi, le secrétaire général de la Fédération de l'enseignement secondaire, Lassad Yakoubi, a cédé à la proposition de son ancien confrère syndicaliste, Mohamed Ali Boughdiri, actuel ministre de l'Education, alors que la réforme tant espérée du secteur n'est encore que paroles en l'air. Des promesses avancées par la Fédération de l'enseignement secondaire pour faire pression sur le ministère jusqu'à satisfaction des revendications, les enseignants n'ont eu que de nouvelles promesses et quelques miettes versables dans trois ans. Devenu soudainement conciliant, Lassad Yakoubi a préféré la situation financière du ministère à celle des enseignants. Après avoir crié pendant des mois à la nécessité de garantir une vie descente pour les enseignants face à une crise économique sans précédent et une inflation galopante, il a fini par lâcher prise en acceptant ce que le ministère était disposé à offrir. La semaine dernière encore, Lassad Yakoubi avait, rappelons-le, affirmé que les parties sociales étaient conscientes de la crise et souhaiteraient plutôt discuter stratégie et parvenir à un accord qui puisse améliorer la situation des enseignants sur le moyen et le long terme. Un revirement de situation qui pour certains n'est pas des habitudes du syndicaliste, souvent dans l'escalade. Le blocage des notes décidé en septembre a été maintenu jusqu'à le semblant d'accord obtenu hier suite à des négociations entre camarades, alors que la crise économique du pays bien ancrée en septembre ne fait que s'aggraver en l'absence d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Il ne serait pas exclu que M. Yakouni en soit récompensé à l'instar de son ancien collègue Belgacem Ayari, nommé consul à Alger. Un accord que la Fédération voyait, semble-t-il, comme bouée de sauvetage et moyen de parvenir aux augmentations salariales revendiquées. C'est ce que le secrétaire général adjoint du syndicat général de l'enseignement secondaire, Fakhri Smiti, a avancé, dans une intervention sur IFM dans la matinée de mardi 23 mai 2023. Pour expliquer les termes de l'accord considérés lamentables par les enseignants, il a affirmé au micro de Borhane Bsaies, que le syndicat espérait une amélioration de la situation économique du pays, mais le climat d'incertitude conjugué à l'absence d'un accord avec le FMI a fait pencher la balance. Il a laissé entendre, également, que l'escalade qu'a adopté le syndicat était essentiellement due au mutisme du gouvernement et du ministère de l'Education supervisé jusqu'à fin janvier 2023 par l'ennemi juré de Lassad Yakoubi, Fethi Sellaouiti. Celui-ci a, rappelons-le, été accusé à plusieurs fois de « pratiques fascistes » par la Fédération de l'enseignement secondaire. De la stratégie qu'il souhaitait pour réformer le secteur et des moyens pour améliorer la situation financière des enseignants, Lassad Yakoubi n'a obtenu que la régularisation, en partie, de la situation des enseignants suppléants avec le recrutement de la quatrième promotion pour l'année scolaire 2023/2024, des engagements pour la régularisation de la situation des suppléants de la promotion de 2022 et le versement de leurs salaires, une proposition pour le recrutement des enseignants suppléants inscrits dans la base de données de 2008/2016, une proposition d'augmentation de la valeur du contrat de 750 dinars à 1.120 dinars pour ceux qui ont enseigné pendant une année scolaire entière, et sur une augmentation du salaire de base de 300 dinars sur trois ans, au titre de l'augmentation des charges pédagogiques dont le montant net est de 180 dinars, versable à partir de janvier 2026/2027/2028. En contrepartie, la commission administrative sectorielle de l'enseignement secondaire a, elle, accepté, entre autres, de rendre les armes en levant le blocage des notes et s'est engagée à ce que les conseils de classe soient tenus. Peu de choses en comparaison avec la longue liste de revendications sociales scandées dans les médias par la Fédération du temps de Fethi Sellaouti. Les enseignants exigent, rappelons-le, la retraite anticipée pour des raisons de santé, des promotions, le paiement des heures supplémentaires, la hausse de la prime de la rentrée scolaire, en plus de la régularisation des suppléants, et surtout une réforme globale d'un secteur – jadis une fierté nationale – qui périclite, si ce n'est déjà que ruines. L'accord conclu entre la Fédération de l'enseignement secondaire et le ministère de l'Education n'a pas manqué de faire polémique. Jugé humiliant, plusieurs enseignants ont exprimé leur indignation sur les réseaux sociaux. Les réactions ont, pour certains, été violentes, notamment en ce qui concerne les augmentations salariales. Plusieurs enseignants ont manifesté leur colère qualifiant de « trahison » le consentement du secrétaire général de la Fédération Lassad Yakoubi à la proposition du ministère. Certains sont allés jusqu'à le qualifier de « plaie ». Des syndicalistes ont annoncé leur démission et d'autres se sont retourné contre « l'Union de Taboubi », en référence au secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail. La rage des enseignants du secondaire ne risque pas de se dissiper de sitôt surtout que la Fédération de l'enseignement de base a annoncé le maintien de sa décision de blocage des notes. Contrairement à la Fédération de l'enseignement secondaire, les syndicats de l'enseignement de base tiennent encore tête au ministère de l'Education et comptent aller dans l'escalade en organisant une journée de colère et plusieurs autres mouvements de protestation sur l'ensemble du territoire tunisien à compter de mardi 23 mai. Des sit-in sont, également, prévus dans les écoles et collèges.