Un nouveau limogeage. Prévisible. La tête du PDG de la Steg a sauté vendredi soir. Un communiqué bref et net, comme d'habitude, on y apprend que le chef de l'Etat a limogé Hichem Anane. Au suivant. Derrière ce limogeage brutal, un black-out de plusieurs heures qui a plongé le pays dans l'obscurité, provoqué des coupures d'eau et de courant le lendemain et mis à nu le système informatique d'une bonne partie des institutions du pays. Publiques et privées. Une panne générale qui a semé la panique auprès de milliers de Tunisiens attendant à chaque instant que le ciel leur tombe sur la tête. Mais, si ce black-out a montré aux yeux de tous la fragilité des administrations tunisiennes (pas seulement celles que l'on croit), il a aussi mis à nu la fragilité d'une politique qui préfère tirer dans le tas et ne jamais anticiper.
Faisons les comptes, ou plutôt citons seulement les plus notables. En seulement trois mois, plusieurs têtes ont sauté. Et pas n'importe lesquelles. Depuis juillet, Kaïs Saïed a limogé le DG de la sûreté publique (septembre), le PDG de la Sotugat (septembre), le PDG de l'office des terres domaniales (août), le PDG de l'Office des céréales (août), le DG de l'Office du tourisme (août), la cheffe du gouvernement (août) et le PDG de la Sonede (juillet). Si ces limogeages ont été applaudis, c'est parce qu'ils répondaient à un besoin urgent et ponctuel. Celui de trouver rapidement un bouc-émissaire, de s'extasier du départ d'un responsable tout désigné. Une panne d'eau, on coupe la tête de la Sonede. Un black-out, c'est celle de la Steg qui saute. Elémentaire mon cher Watson. Mais si ces décisions font immédiatement taire les masses, elles n'arrangent rien au cœur du problème. Lequel est – roulement de tambours – une mauvaise gestion de l'Etat. Et ce problème-là, ce ne sont pas les masses qui doivent y trouver une solution, c'est le sommet de l'Etat qui devra, à un moment ou un autre, s'y atteler. Qu'est-ce que ces limogeages feront face aux dettes faramineuses de la Steg, à la vétusté des équipements de la Sonede, aux charges du personnel colossales dans plusieurs administrations et aux très nombreuses autres encore mal (ou pas du tout) préparées à faire face à des crises de ce genre.
Pour l'instant, les raisons réelles derrière le black-out du 20 septembre ne sont pas connues et il est peu probable qu'elles le soient un jour. Avec ce limogeage, on enterre le dossier et on passe rapidement à autre chose. Rien ne garantit donc que ce qui s'est produit le 20 – avec les conséquences qu'on subit encore aujourd'hui – ne se reproduira pas à l'avenir. En attendant, ce moment de panique conforte les Tunisiens dans l'idée d'un grand complot général contre leur pouvoir d'achat, leurs besoins vitaux, leur sécurité et leur intégrité. Pour attiser les masses et justifier des actions inutiles, le discours complotiste est nettement plus pratique que les faits. Les faits sont moins palpitants, ils intéressent moins de monde et ne permettent pas de vous donner tous les pouvoirs face à un peuple démuni. Il est en effet pratique de dénigrer ses adversaires en les accusant de « comploter dans l'ombre », de limoger des responsables qui « servent d'obscurs agendas », de mettre en prison des personnes « dont les intentions mêmes prouvent leur culpabilité » et de taper sur les médias en disant « qu'un sombre journaliste contracte des prêts à plusieurs chiffres sans aucune garantie ». Lorsqu'on ne maîtrise même pas le b.a.-ba du fonctionnement bancaire, les rouages des institutions de l'Etat ou même, tout simplement, les spécificités de l'environnement qui nous entoure, on préfère verser dans le sensationnalisme au lieu de privilégier l'efficacité. Que fera le régime à la prochaine crise ? Qui faudra-t-il limoger encore ?...