La question de la normalisation fait rage et ne cesse d'être évoquée en raison des massacres et des crimes de guerre commis par Israël contre le peuple palestinien. La chose a même poussé les élus à accélérer l'étude de la proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation avec Israël au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Cette question de la criminalisation de la normalisation avait été abordée à plusieurs reprises en dehors et au sein de l'ARP. Des propositions de loi ont été déposées puis abandonnées dans le passé. À la suite de chaque polémique autour de la normalisation, on finissait par oublier la chose et la délaisser. Criminaliser la normalisation avec l'entité sioniste pourrait être un acte de bravoure, certes, mais il ne faudrait pas se laisser emporter par une hystérie collective et mal étudier voire bâcler la chose !
La proposition de loi actuellement étudiée n'a pas vu le jour suite aux récentes attaques israéliennes visant les civils palestiniens. Elle avait été déposée auprès de l'ARP à la date du 12 août 2023, puis a été soumise à la commission des droits et de libertés à la date du 13 août 2023. Dans son argumentaire, le document n'évoque que la situation en Palestine et met de côté un événement historique loin d'être négligeable. On avait complètement oublié le raid de l'armée de l'air israélienne du 1er octobre 1985 sur Hammam Chott visant le quartier-général de l'Organisation de libération de la Palestine. Cet attentat avait provoqué la mort de 68 personnes, dont 18 Tunisiens. Il ne s'agirait peut-être pas d'une raison pouvant davantage motiver la décision de criminalisation de la normalisation avec Israël... Après son dépôt, on s'était dit que cette proposition finirait comme d'habitude au fond d'un tiroir. Néanmoins, l'horreur des images et des vidéos des victimes et de la destruction résultant des bombardements israéliens ont poussé les élus à accélérer les choses. C'est alors qu'on a commencé à s'intéresser au texte et à ses dispositions. La proposition présentée à la commission des droits et des libertés pose plusieurs problématiques en raison du flou et de l'absurdité de certaines situations auxquelles elle pourrait s'appliquer. L'article n°2, à titre d'exemple, qualifie l'acte de la normalisation comme étant toute création ou tentative de création de rapports directs ou indirects contractuels, commerciaux, professionnels, culturels, scientifiques ou sportifs rémunérés ou non de façon continue ou pour une seule fois avec toutes personnes morales ou physiques appartenant à l'entité sioniste qu'il s'agisse d'entités gouvernementales ou non gouvernementales et privées ou étatiques. Ce paragraphe pose problème puisqu'il se réfère à l'appartenance à l'Etat sioniste. Remettre en question sa pertinence est chose facile à faire. Que devrions-nous faire pour le cas d'une entreprise ayant des rapports avec une personne détenant la nationalité israélienne, mais s'opposant à l'occupation du territoire palestinien ? La chose est possible vu le nombre d'individus ayant tout simplement hérité de la nationalité israélienne. De plus, comment sanctionner une personne ou une entreprise ayant eu, une fois, des rapports avec une entité israélienne sans le savoir ? La personne ou l'entreprise pourrait être induite en erreur. La chose vient récemment d'avoir lieu. Une poétesse palestinienne a contacté un écrivain tunisien et lui a demandé l'autorisation de traduire ses écrits et de les publier. L'homme en question a été surpris par la suite de découvrir que la poétesse travaillait pour le compte d'une plateforme israélienne. Il lui a immédiatement demandé le retrait des publications. En vertu de la proposition de loi, l'écrivain est coupable. Il risque des peines de deux à cinq ans d'emprisonnement en plus d'amendes de dix à cent mille dinars. La tentative est, également, punissable, et est sanctionnée de la même peine que l'infraction consommée.
La proposition de loi considère que la normalisation est, également, la participation aux événements, activités, rencontres, foires et concours politiques, économiques, scientifiques, culturels, artistiques et sportifs organisés sur le territoire palestinien occupé ou contrôlé par l'entité sioniste. Encore une fois, le document fait preuve d'un manque flagrant de cohérence et d'un texte plus proche d'un discours politique que d'une proposition de loi. Imaginons un concours organisé par une association ou une ONG palestinienne et s'opposant à Israël et à la colonisation ! Y participer serait un crime ? Et si le concours en question porte sur la rédaction de poèmes, de livres, de textes faisant l'éloge de la cause palestinienne, il nous faudra malgré cela sanctionner la personne qui y avait participé. Et si par malheur, l'entité sioniste élargissait ses colonies et s'emparait d'une partie de Gaza ou de la Cisjordanie ? Devrions-nous renoncer à ces zones et les abandonner ? S'y rendre doit être sanctionné ? La réponse, selon la proposition de loi, est oui ! Encore une fois, le texte prévoit des peines allant de deux à cinq ans d'emprisonnement en plus d'amendes de dix à cent mille dinars.
Ce qui est encore plus surprenant est le fait que la commission des droits et des libertés ait décidé de modifier les peines proposées dans le premier draft. Les membres de la commission parlementaire ont convenu d'alourdir davantage les peines. La normalisation pourrait conduire à l'emprisonnement à vie. Réagissant à la chose lors d'un passage médiatique du 25 octobre 2023, le secrétaire général d'Attayar, Nabil Hajji a pointé du doigt l'absurdité et les défaillances multiples de ce texte. Plusieurs situations sont envisageables. Le secrétaire général d'Attayar, Nabil Hajji a pointé du doigt la chose. Il a, aussi, évoqué l'exemple des Tunisiens détenteurs de la nationalité israélienne et s'est interrogé sur leur situation en cas d'adoption de cette proposition de loi. « Nous avons des Tunisiens qui ont la nationalité israélienne. Arrêtons cette hypocrisie. Ces gens visitent La Ghriba... les Arabes de 1948 sont israéliens et que l'Autorité palestinienne, elle-même normalise avec Israël », s'est-il exclamé. La question de la normalisation doit se limiter aux institutions de l'Etat. D'après lui, un joueur de football acquis par un club de football étranger possédant un joueur israélien risque la prison à vie. Nabil Hajji a conclu que la loi était d'une nature répressive et cherchait à punir les Tunisiens au lieu d'encercler Israël et de l'isoler. Il a expliqué que des sujets d'une telle sensibilité devaient être débattus dans le cadre d'une approche sereine et posée. Il ne faut pas se ruer vers la mise en place de sanctions et délaisser l'art de bien rédiger une loi. Le leader d'Attayar a considéré que la Tunisie ne devait pas normaliser avec l'entité sioniste. Mais, l'élaboration de cette loi doit avoir lieu dans le cadre d'un échange et d'un dialogue garantissant la participation de toutes les parties concernées, à savoir, la société civile et les ministères tels que celui des Affaires étrangères qui n'a pas été consulté.
En effet, l'adoption de cette proposition de loi par la commission des droits et des libertés a témoigné d'un manque flagrant de sagesse si ce n'est pour dire qu'elle a reflété un amateurisme sans précédent. Adopter un tel texte peut être une source de fierté. Il reflétera l'attachement historique de la Tunisie à la cause palestinienne. Néanmoins, nous devons garder la tête froide. Il nous faut étudier l'impact de cette loi sur la Tunisie et l'étudier en évitant le populisme. S'opposer à l'injustice ne peut être que légitime et soutenu. Mais, se ruer vers l'inconnu et élaborer des textes de loi sans prendre la peine de consulter, non pas l'opposition ou la société civile, mais les autres institutions de l'Etat, notamment le gouvernement et ses membres ne peut que nous mener vers une situation désastreuse.
Une proposition de loi aussi technique et sensible devrait se dérouler sur des semaines si ce n'est des mois. Chaque ministère est dans l'obligation d'y dédier des études et des études de cas. Il ne s'agit pas seulement d'une simple décision à caractère diplomatique. La criminalisation de la normalisation est, comme l'avait assuré le président de la République, Kaïs Saïed, une question de sûreté nationale. D'ailleurs, les Tunisiens devraient s'interroger sur l'absence de commentaires à ce sujet de la part du ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar à ce sujet. Les députés devraient reporter la plénière de l'ARP du 30 octobre 2023 dédiée à la proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation et penser à la meilleure façon par laquelle ils pourraient aider les Palestiniens et les soutenir dans leur cause, à savoir l'élaboration d'une stratégie nationale relative à cette cause noble.