L'arrivée en Tunisie d'une délégation de la Banque mondiale et sa réception par le chef du gouvernement, entouré de la plupart de ses ministres, ont suscité un vif intérêt dans les médias. Cette attention médiatique est louable, mais elle soulève également des inquiétudes quant au mutisme du gouvernement, qui pousse les médias à recourir à des experts internationaux pour avoir leur avis sur la situation économique du pays et même essayer de glaner des informations sur le programme du gouvernement. Nombreux sont ceux qui ont remarqué que cette visite survient peu de temps après l'annulation, en décembre, d'une mission du Fonds monétaire international (FMI). Certains, se remémorant les déclarations du président Kaïs Saïd concernant le FMI, n'ont pas hésité à qualifier celui-ci de « méchant » et la Banque mondiale de « gentille ».
Cette perception n'est pas exclusive à la Tunisie ; elle est souvent répandue dans les pays où les responsables politiques hésitent à mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires, souvent difficiles, et préfèrent éviter les explications, tout en cherchant des boucs émissaires à blâmer. Le FMI n'est pas intrinsèquement « méchant » et la Banque mondiale n'est pas nécessairement « gentille ». Ce sont des institutions internationales au service de leurs pays membres. Elles sont dirigées par des hommes et des femmes qui, dans l'ensemble, accomplissent un travail important, mais qui peuvent également commettre des erreurs et sont donc responsables devant leurs pays membres.
Le FMI et la Banque mondiale jouent des rôles distincts :
Le FMI se concentre principalement sur la promotion de la coopération monétaire internationale pour assurer la stabilité financière internationale. Il offre des conseils et une assistance technique aux pays membres pour les aider à stabiliser leurs économies et fournit, si nécessaire, des ressources aux pays confrontés à des problèmes de balance des paiements. En outre, le FMI effectue une surveillance économique en suivant les tendances mondiales et en fournissant des analyses et des prévisions. Quant à la Banque mondiale, son action vise principalement à réduire la pauvreté et à promouvoir le développement en offrant une assistance financière à long terme pour des projets et programmes spécifiques. Ces projets incluent, par exemple, la construction d'infrastructures, l'amélioration de l'éducation, de la santé, mais concernent de plus en plus des domaines émergents tels que le changement climatique ou l'inclusion financière. Comme le FMI, la Banque mondiale fournit également une expertise, des recherches et des analyses pour aider les pays à relever les défis de développement.
Toutefois, deux facteurs distinguent ces deux institutions et contribuent à la perception que le FMI est souvent qualifié de « méchant » : Tout d'abord, le FMI exerce un rôle de surveillance annuelle obligatoire sur tous les pays membres. Ses rapports, conclusions et recommandations, bien qu'élaborés en étroite collaboration avec les experts du pays, peuvent contrarier les responsables politiques. Ces derniers ont souvent tendance à refuser ou à retarder la publication de ces rapports ou à annuler les visites du FMI, même si cela peut entraîner l'inscription du pays sur une liste négative. Ensuite, contrairement à la Banque mondiale, le financement du FMI est assorti d'exigences de réformes, de délais et de revues fréquentes qui déplaisent souvent aux gouvernements qui privilégient les mesures populistes, temporaires ou exceptionnelles au détriment de réformes durables et viables. Il n'est donc pas étonnant que dans un pays où les autorités favorisent les solutions faciles et populistes aux réformes structurelles plus ardues, il soit plus simple d'annuler un programme de réformes préparé par le gouvernement lui-même en collaboration avec le FMI, ou de refuser une visite du personnel du FMI, puis de blâmer l'institution pour avoir imposé ses diktats.
Un adage populaire dit : « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ». En Tunisie, on pointe du doigt le FMI en le qualifiant de « méchant ». Quant aux véritables problèmes, on préfère souvent les ignorer, c'est plus simple. Quant aux chiens, on ne les accuse même pas, on les abat, c'est plus simple également.
*Ancien haut cadre de la BCT et ancien conseiller auprès du conseil d'administration du FMI *Conseiller, Conseil d'administration - Association "Mémoire de Hédi Nouira" *Membre du conseil consultatif - Global Initiative for Governance & Sustainability (GIGS) *Directeur - Shakshuka.org