Il devrait y avoir une élection présidentielle durant cet automne. Bien évidemment, le pouvoir, féru de scénarios à suspens et s'attelant à nous tenir en haleine, n'est toujours pas pressé de fixer une date à cette élection. Amusante situation, alors que partout dans le monde et dans pratiquement tous les pays, le calendrier est connu bien à l'avance. La date d'une élection peut même être fixées des années avant l'élection tant il s'agit d'une formalité. Mais, en Tunisie, le choses fonctionnent différemment. Les nouvelles approches restent mystérieuses pour le commun des mortels. Il n'y aurait que les initiés, les vrais, ceux qui font partie de la catégorie des patriotes sincères, qui saisissent l'essence d'une telle démarche.
Contrainte de s'exprimer, l'Instance dite indépendante pour les élections avait renvoyé la balle, durant le mois d'avril, dans le camp du président de la République. Notre Isie, qui détient toutes les prérogatives pour fixer la date, avait indiqué qu'elle attendait que Kaïs Saïed convoque les électeurs pour qu'enfin elle puisse nous révéler cette date. Et d'après la loi, cette convocation des électeurs ne peut se faire qu'à partir de trois mois avant la date du scrutin. Autrement dit, le président pourrait convoquer les électeurs à seulement deux semaines d'une date qu'on ne connait pas encore. Toutes ces contorsions donnent la migraine, mais il faut bien qu'on essaie de comprendre.
Ce que l'on sait et qui a été confirmé par l'Isie, c'est que le 23 octobre 2024 sera la date limite constitutionnelle pour la tenue du premier tour de l'élection. Le porte-parole de l'instance s'est ainsi aventuré, cette semaine, à annoncer trois dates probables : soit le 6, soit le 13, soit le 20 octobre. Les choses commencent à se préciser, mais on reste tout de même dans l'expectative. Quant aux règles du jeu, on sait que la question de l'âge et de la nationalité sera modifiée pour être en conformité avec la constitution présidentielle : 40 ans minimum et pas de binationalité. Cependant, l'Isie confirme avoir ajouté une nouvelle condition. Il s'agit du bulletin numéro 3 attestant d'un casier judiciaire vide qui devra être présenté dans la liste des documents à déposer. On est en droit de se demander le pourquoi d'une telle mesure, alors même que le Tribunal administratif avait auparavant rejeté l'ajout de cette condition qui compliquerait la procédure pour les candidats. Le fait est que l'Isie exige du candidat un document fourni par des autorités avec qui l'instance collabore. Il faut savoir que depuis son entrée en activité et durant les précédents scrutins, l'Isie se procurait les informations sur le casier judiciaire des candidats sans aucun problème. Mais encore, et avec l'amendement de la loi électorale en 2022, les administrations sont désormais dans l'obligation de fournir toutes les informations à l'instance quelles qu'elles soient. Alors pourquoi ?
Si le dépôt de candidature peut se faire directement par le candidat ou une personne le représentant, le bulletin numéro 3 ne peut être extrait que par la seule personne concernée. Quelqu'un qui est, par exemple, dans l'impossibilité de se déplacer pour déposer une demande de B.3 puis retirer le document, sera lésé et ne pourra pas se porter candidat s'il le souhaitait. Cela porte atteinte au principe d'égalité des chances que l'instance a pourtant l'obligation de préserver. Et il est de notoriété publique que la moitié de la classe politique et les quelques potentiels et sérieux candidats sont actuellement incarcérés. Il serait ainsi difficile pour la prisonnière Abir Moussi, qui avait annoncé sa candidature, de déposer son dossier même à travers une personne qui la représente. Y aurait-il des intentions d'exclure une certaine catégorie de candidats ? On vous laisse juger de la pertinence d'un tel questionnement, surtout que le climat politique dans lequel devrait se dérouler cette présidentielle n'aura rien d'habituel. Le verrouillage de l'espace public va de l'avant et la peur s'est installée alors que des dizaines de politiciens, de journalistes, d'activistes sont poursuivis ou emprisonnés. Pas un jour ne passe sans qu'un verdict ou une arrestation ne soient annoncés. Etrangement, tous ces gens ne sont pas d'accord avec le président et son processus. Une pure coïncidence à l'approche d'une élection dont on ignore encore la date.