Les voitures 4CV ont marqué leur époque et sont aujourd'hui des objets de collection prisés par les nostalgiques. Toutefois, leur technologie appartient désormais au passé, ne répondant plus aux normes modernes en matière de sécurité, de confort, de performance et d'efficacité énergétique. Cette métaphore reflète malheureusement l'état de l'économie tunisienne, qui semble se résigner à une faible création de richesses, avançant à la lenteur d'une 4CV. La croissance économique de la Tunisie a été de 0,2 % en 2023, avec une prévision de 1,6 % pour 2024. Pourquoi l'économie tunisienne roule-t-elle à bord d'une "voiture 4CV" ? * conduite par un chauffeur proche de la retraite (les entreprises publiques), * alourdie par un excès de bagages (la masse salariale et la compensation), * et contrainte d'emprunter des routes vétustes (climat des affaires) ?
La réponse se trouve dans une étude menée par des économistes tunisiens, et non par le FMI cette fois-ci, publiée sur le site de la Banque Centrale de Tunisie, cette même institution qui semble déranger certains ces derniers temps. Rached Bouaziz et Ramzi Salem y proposent une estimation du taux de croissance potentiel du PIB de la Tunisie pour la période 1989-2024 et offrent un aperçu des défis structurels de l'économie nationale.
Qu'est-ce que le taux de croissance potentiel ? Imaginons notre 4 CV, où chaque cheval symbolise la capacité du moteur à maintenir une certaine vitesse dans des conditions normales de sécurité. De manière générale, plus un moteur dispose de chevaux, plus il peut générer de puissance et offrir des performances et une sécurité élevées.
En économie, le taux de croissance potentiel fonctionne de la même façon. Il correspond à la croissance maximale qu'une économie peut soutenir à long terme sans provoquer de pressions inflationnistes. C'est le rythme auquel une économie peut se développer lorsqu'elle exploite pleinement ses ressources – qu'il s'agisse de la main-d'œuvre, du capital ou de la technologie – tout en préservant la stabilité des prix.
Dans leur étude, les deux économistes montrent qu'après avoir bénéficié d'une stabilité à un niveau moyen relativement élevé de 4,5 % entre 1989 et 2011, le taux de croissance du PIB potentiel a connu une dégradation continue pour s'établir à 0,44 % à la fin du premier trimestre 2024.
Les auteurs notent que :
« l'économie tunisienne s'est dégradée de manière séquentielle atteignant chaque fois un palier inférieur où chaque palier étant le résultat d'un choc exogène impactant négativement l'économie tunisienne. »
Premier palier (2011-2015) : Cette période coïncide avec la chute du régime de Ben Ali, marquée par des perturbations sociales et sécuritaires. Durant ces années, la moyenne du taux de croissance du PIB potentiel a enregistré une baisse significative, passant de 2 points à 2,78 %.
Deuxième palier (2016-2019) : Suite aux attentats terroristes survenus en 2015, la situation économique s'est détériorée. La moyenne du taux de croissance du PIB potentiel a alors chuté à 1,65 %.
Troisième palier (depuis 2020) : À la suite de la crise COVID-19, le taux de croissance du PIB potentiel a continué de se dégrader, s'établissant à seulement 1,05 %. La dernière observation, à la fin du premier trimestre 2024, révèle un potentiel de croissance encore plus préoccupant, inférieur à 1 %, à hauteur de 0,44 %.
Le faible niveau de potentiel de croissance, qui atteint à peine 1 %, est corroboré par les résultats des deux dernières années, avec un taux de seulement 0,2 % en 2023 et une projection de 1,6 % pour l'ensemble de l'année 2024.
Maintenant, le ministère des Finances prévoit un doublement de ce taux en 2025, visant 3,2 %. En revanche, les institutions internationales, qui suivent de près l'évolution économique en Tunisie, avancent des estimations beaucoup plus modestes : la Banque mondiale table sur 2,2 %, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sur 1,8 %, et enfin le Fonds monétaire international, reconnu pour son expertise dans ce domaine, prévoit un taux de 1,6 %.
Conclusion
Les auteurs de l'étude concluent que :
« Le constat est alarmant, car l'économie tunisienne n'a pas pu à aucun moment redresser son potentiel de croissance. La faiblesse de l'investissement privé et public, l'étroitesse de l'espace budgétaire de l'Etat et l'absence de financement extérieur font qu'il est difficile d'envisager une reprise du potentiel de l'économie tunisienne à court terme. » La Tunisie ne pourra pas améliorer sa croissance économique sans réduire les pressions constantes sur son budget, résultant des charges de compensation, des subventions aux entreprises publiques et d'une fonction publique pléthorique et peu productive. Alors que certains expriment encore une nostalgie pour la 4 CV, la majorité des Tunisiens aspire à voyager dans un train à grande vitesse. Ils rêvent d'évoluer dans une économie moderne, ouverte sur le monde, où l'intervention de l'Etat n'est pas oppressante. Ils souhaitent une économie où l'initiative privée est valorisée, où les jeunes sont confiants dans l'avenir et libres de leurs actions. Un tel environnement pourrait permettre de retrouver un taux de croissance historique de 4,5 %. C'est ça la résilience d'une économie, ce n'est pas se contenter de payer régulièrement ses dettes.