Deux visions du leadership face à l'Europe Ce n'est pas de la fiction gratuite. C'est une tentative de poser une vraie question : que vaut un pays qui ne sait pas négocier ? D'un côté, Kaïs Saïed : figure austère, solitaire, allergique au marchandage. De l'autre, ce que pourrait être un chef d'Etat qui pense en termes de levier, d'intérêt national et de rapport de force. Face à l'Europe, la Tunisie aurait-elle négocié autrement avec un Donald Trump local aux commandes ?
Le choix du silence En 2019, Donald Trump a menacé le Mexique de sanctions commerciales massives s'il ne prenait pas des mesures immédiates contre l'immigration clandestine vers les Etats-Unis. En quelques semaines, le Mexique a mobilisé 26.000 gardes nationaux, renforcé les contrôles aux frontières et signé un accord sous pression. Résultat : les Etats-Unis n'ont pas déboursé un centime. En 2023, Kaïs Saïed, lui, a accepté un chèque de centmillions d'euros de l'Union européenne pour endosser le rôle de garde-frontière. Et ce, alors que le sud tunisien explose sous la pression sociale, les tensions raciales, les drames humanitaires et l'absence totale de stratégie d'accueil ou de gestion. On peut critiquer Trump sur bien des points. Mais s'il y a un domaine où il excelle, c'est l'art du deal. Homme d'affaires avant d'être président, il a transformé la diplomatie américaine en bras de fer commercial. Il négocie tout, avec tout le monde, devant les caméras, avec des menaces assumées mais une vision claire de ses intérêts. Son style est brutal, populiste, souvent toxique. Mais il ne négocie jamais à perte. Face à cela, Kaïs Saïed gouverne seul. En dehors des partis, des diplomates, des corps intermédiaires. Pas de conférence de presse. Pas de message clair. Pas de stratégie visible. Son pouvoir est vertical, froid, totalement déconnecté des logiques de négociation internationale. Il ne demande rien, ne conditionne rien, ne revendique rien. Résultat : il reçoit peu — et paie cher.
Ce qu'un Trump tunisien aurait fait Un accord migratoire négocié par un Trump tunisien aurait été d'une tout autre nature. Dès l'ouverture des discussions, il aurait publiquement dénoncé les montants proposés par l'UE comme insultants. Il aurait exigé non pas une aide humanitaire, mais une compensation stratégique : un financement annuel à hauteur de plusieurs milliards d'euros, assumé comme le coût réel du service rendu à l'Europe. Il aurait introduit un levier commercial : pas de coopération migratoire sans l'ouverture des marchés européens aux produits tunisiens — huile d'olive, phosphate, textile. L'accord aurait intégré des clauses pour rééquilibrer les échanges en faveur de la Tunisie. Il aurait traité la migration comme un élément d'un package économique, non comme une problématique isolée. Côté sécurité, il aurait exigé que chaque drone, chaque radar thermique, chaque véhicule tout-terrain soit financé intégralement par l'Union européenne. Il aurait imposé que des entreprises tunisiennes bénéficient directement des contrats liés au dispositif frontalier. L'objectif n'aurait pas été seulement de sécuriser les frontières, mais de générer des emplois et des revenus. Enfin, il aurait transformé cet accord en opération de communication politique. Devant les caméras, il aurait proclamé une victoire historique, présenté la Tunisie comme un acteur clé de la sécurité européenne, et inscrit l'accord dans un récit de souveraineté nationale. Il aurait martelé que la Tunisie ne sera jamais un camp de rétention à ciel ouvert — et menacé de tout suspendre si certaines lignes rouges étaient franchies.
Une faiblesse stratégique criante Ce scénario "à la Trump" n'est pas un fantasme d'homme fort. C'est un miroir tendu à notre faiblesse stratégique. La Tunisie a accepté un rôle central — celui de digue migratoire pour l'Europe — sans négocier des retombées équivalentes. Elle gère les tensions sociales, les crises humanitaires, les risques sécuritaires, pendant que Bruxelles dort tranquille. Il ne s'agit pas d'imiter Trump. Mais il est temps d'apprendre à négocier. D'assumer une posture stratégique. De faire valoir nos atouts. De refuser les miettes. Un accord ne se signe pas dans le silence. Il se discute, se défend, se communique. Et surtout, il doit bénéficier à ceux qui vivent ses conséquences sur le terrain.
Un pays qui ne sait pas négocier finit toujours par subir l'histoire écrite par les autres.