Avec l'imposition brutale de droits de douane par les Etats-Unis, la Tunisie se retrouve en première ligne d'un conflit économique mondial. Taxée à hauteur de 28 %, elle subit une sanction directe de l'administration Trump, conséquence d'une politique douanière incohérente. Face à cette offensive, le silence tunisien devient un aveu de faiblesse. Le 2 avril 2025, Donald Trump lançait ce qu'il qualifie de « déclaration d'indépendance économique ». Devant les caméras, entouré d'ouvriers et de ministres, il annonçait une vague de surtaxes douanières visant plus de soixante pays, dans le but affiché de réindustrialiser les Etats-Unis et de rééquilibrer une balance commerciale « saccagée depuis des décennies ». Parmi les pays ciblés : la Chine, l'Union européenne… mais aussi la Tunisie, dont les produits sont désormais taxés à hauteur de 28 % à l'entrée du marché américain.
Une taxe sévère, mais pas arbitraire À première vue, cette décision pouvait sembler injuste. En 2024, la Tunisie enregistrait un excédent commercial de + 215,833 millions de dinars avec les Etats-Unis, selon les chiffres de l'Institut national de la Statistique (INS). Un chiffre modeste à l'échelle globale, mais positif. Pourtant, en janvier 2025, cet excédent s'est transformé en déficit de - 59,898 millions de dinars (source INS), signe que les flux sont fragiles et sensibles. Mais ce n'est ni l'excédent ni le déficit qui a déclenché la riposte américaine. En réalité, la Tunisie impose aux produits américains jusqu'à 55 % de droits de douane, une politique protectionniste d'un autre âge, appliquée sans discernement, sans vision géopolitique, et surtout sans anticipation des conséquences. À titre comparatif, le Maroc et l'Egypte n'imposent les produits américains qu'à hauteur de 10%. En retour, l'administration Trump n'a imposé leurs produits que de 10%.
La réciprocité selon Trump : une stratégie de confrontation Donald Trump a toujours défendu l'idée d'une réciprocité dure, où chaque taxe subie par les produits américains devait être retournée à l'expéditeur. Peu importe la taille du pays, l'histoire commune ou l'équilibre économique : ce qui compte pour l'administration Trump, c'est la symétrie. Et dans le cas tunisien, cette symétrie est brutale. Selon le quotidien français Le Monde, les bases de calcul de la Maison Blanche sont discutables, parfois fantaisistes. Mais dans le cas tunisien, la réalité donne des munitions à Washington : avec des droits de douane allant jusqu'à 55 %, la Tunisie a offert à Trump le prétexte parfait pour imposer ses 28 % de manière « légitime ». Elle dépasse même celle imposée au Japon (24 %), à l'Inde (26 %) ou à l'Union européenne (20 %). Dans cette logique, la sanction n'est pas une injustice. Elle est une réponse. Cette méthode s'applique partout : la Chine est frappée de 34 % de surtaxes supplémentaires sur ses produits, en plus des 20 % imposés depuis janvier. Le Japon est taxé à 24 %, l'Inde à 26 %, la Suisse à 31 %. Pour certains pays, comme le Cambodge, les chiffres deviennent absurdes : Trump a évoqué un taux de 97 %, avant de « l'abaisser généreusement » à 49 %, dans un moment qui tenait plus de la mise en scène que de la diplomatie. Même les territoires français d'outre-mer, comme La Réunion ou la Guadeloupe, figurent sur la liste. Le geste est politique : il s'agit d'intimider, de provoquer, et de forcer à négocier dans une position de faiblesse.
Le monde réagit… sauf Tunis Partout dans le monde, les capitales ont réagi avec vigueur. En Europe, Ursula von der Leyen a dénoncé « un coup majeur » porté à l'économie mondiale, tout en appelant à des négociations urgentes. La Commission prépare déjà une liste de contre-mesures, incluant de nouvelles taxes sur les produits américains, mais aussi des restrictions sur les services numériques ou l'accès aux marchés publics européens. La France, l'Italie et l'Irlande ont été consultées pour cibler les produits les plus sensibles, et Emmanuel Macron compte réunir les représentants filières économiques impactées dès le lendemain. En Asie, la Chine a dénoncé une attaque contre le développement mondial, et exige un retrait immédiat des surtaxes. Le Japon juge la décision « extrêmement regrettable », tandis que Taïwan prépare des « négociations sérieuses » avec Washington. Le Canada, pourtant épargné par les nouvelles mesures, a annoncé qu'il ripostera par des contre-mesures si la situation dégénère. Le Brésil a voté à l'unanimité une « loi de réciprocité » permettant de répondre immédiatement aux sanctions commerciales américaines. Même le Royaume-Uni, pourtant proche allié des Etats-Unis, a évité toute riposte directe, misant sur la négociation d'un accord bilatéral pour atténuer l'impact. Et la Tunisie ? Silence radio. Aucun mot du président de la République, aucune conférence de presse du ministère du Commerce, aucune mobilisation diplomatique à Washington ou à Genève. Ce silence n'est pas seulement un manque de réaction — il est une erreur politique. Car dans un monde en recomposition, ne pas réagir, c'est accepter d'être relégué.
Une stratégie commerciale à repenser de fond en comble Cette guerre commerciale met en lumière les limites de l'approche économique tunisienne. Pendant des années, la politique douanière s'est appuyée sur un protectionnisme désorganisé, appliqué à l'aveugle, avec des taux élevés censés protéger l'industrie nationale. Mais dans une économie mondialisée, ces outils sont devenus obsolètes, voire contre-productifs. La taxe américaine de 28 % est donc un effet boomerang. Elle montre à quel point une politique douanière mal pensée peut se retourner contre ses propres intérêts. Les entreprises tunisiennes, notamment dans les secteurs textile, agroalimentaire ou pharmaceutique, qui commençaient à se faire une place aux Etats-Unis, verront leur compétitivité laminée. Pire encore des partenaires commerciaux pourraient reconsidérer leurs accords ou leurs projets d'investissements à long terme en Tunisie, étant eux-mêmes impactés par la politique américaine.
Un tournant stratégique à ne pas manquer Ce choc peut -et doit- devenir un tournant. Comme l'Union européenne, la Tunisie doit accélérer sa diversification des débouchés : renforcer ses liens commerciaux avec l'Afrique, le monde arabe, l'Asie du Sud-Est, ou même les pays du Mercosur. Comme le Royaume-Uni, elle peut initier des discussions bilatérales pragmatiques avec les Etats-Unis, en mettant fin à la logique de taxation excessive. Et comme le Brésil, elle doit se doter d'instruments législatifs de riposte et de négociation. Mais plus profondément, il est temps de réviser en profondeur la doctrine commerciale tunisienne. Cela passe par une réduction raisonnée des droits de douane, une diplomatie économique professionnelle, et une vision d'intégration intelligente dans les chaînes de valeur mondiales. Cela implique aussi de sortir de la logique défensive pour adopter une stratégie offensive, fondée sur la qualité, la compétitivité et l'agilité.
Dans la nouvelle économie mondiale, se taire, c'est s'effacer Dans l'économie du XXIe siècle, les relations commerciales ne sont plus des flux neutres et techniques. Elles sont devenues des instruments de pouvoir, des leviers d'influence, voire des armes politiques. Chaque taxe, chaque barrière, chaque accord reflète un rapport de force. Dans ce contexte, le silence équivaut à une abdication. Un pays qui ne proteste pas, qui ne négocie pas, qui n'ajuste pas sa stratégie, devient invisible. Et dans la géopolitique commerciale, l'invisibilité coûte cher. La Tunisie n'a pas les moyens de rester en retrait. Elle n'a ni le volume économique d'un grand pays, ni le poids diplomatique d'un acteur régional dominant. Ce qu'elle peut opposer à cette fragilité, c'est l'agilité : la capacité à réagir vite, à ajuster ses positions, à dialoguer intelligemment avec ses partenaires. Or, face à l'offensive américaine, elle a choisi l'inaction. Ni dénonciation, ni demande d'explication, ni même tentative de négociation. Le mutisme, comme s'il s'agissait d'un accident lointain, et non d'une sanction directe, à la fois économique et politique. Ce repli est d'autant plus grave qu'il intervient dans un moment de transition mondiale. La globalisation libérale est en crise, les alliances se recomposent, les règles du commerce international sont redéfinies à coups de sanctions, de deals bilatéraux et de nouveaux blocs régionaux. Dans ce nouvel ordre économique, seuls les pays qui parlent, négocient, s'adaptent et s'affirment pourront préserver leurs intérêts. Les autres seront marginalisés, pas par hostilité, mais par omission. Se taire aujourd'hui, c'est accepter d'être écarté demain des flux d'investissement, des partenariats stratégiques, des chaînes de production internationales. C'est se résigner à un commerce de survie, périphérique, soumis aux décisions d'autrui. La Tunisie mérite mieux. Mais encore faut-il qu'elle s'en donne les moyens, et d'abord, qu'elle prenne la parole.