Mongi Souab, haut commis de l'Etat à la retraite a publié un long post Facebook sur sa relation avec son frère Ahmed Souab, ancien magistrat, actuel avocat et désormais prisonnier politique. Business News a traduit pour vous ce témoignage plein d'émotion et de vérités. Mon enfance avec Ahmed Souab Par Mongi Souab
Encore une nuit blanche... Je n'arrive plus à dormir trois heures d'affilée... Ma relation avec mon frère Ahmed est celle de deux jumeaux. Nos caractères sont différents, mais au final, nous nous sommes toujours compris. Nous étions liés l'un à l'autre. Il est né en 1957, moi en 1958. Nous avons fait notre primaire ensemble : au Bardo, à El Kherba" (près de Souk Blat) et à Ben Aïssia (près du quartier d'Ezzahrouni). Il a décroché son sixième en 1969, moi en 1970. Nous avons passé sept ans ensemble au lycée Ibn Charaf. Il a eu son bac en 1976, moi en 1977. Nous avons étudié le droit à la Faculté de droit du Campus. Ahmed était plus brillant. Il a obtenu sa licence en droit. Il a voulu faire son service militaire : il l'a accompli à Redeyef. Puis il est parti en France, a décroché son DEA, et est revenu à Tunis. Il a travaillé au ministère de l'Agriculture. Puis il a poursuivi un troisième cycle à l'ENA, avant de réussir le concours d'entrée au Tribunal administratif.
Quant à moi, j'ai intégré le ministère de l'Equipement en 1982 jusqu'à ma retraite en 2018.
Ahmed était beaucoup plus aventureux que moi. Pendant ses études, surtout l'été, il travaillait comme peintre en bâtiment, guide touristique, surveillant. Il arrachait littéralement les sous du mur. Même en France, il allait vendanger l'été dans les campagnes.
Depuis notre enfance, nous jouions au football ensemble. Lui était un défenseur intraitable, moi un attaquant. On jouait dans notre quartier, puis à la "Mouldia du DenDen". On jouait aussi aux cartes, surtout à la belote. On se retrouvait tout le temps : dans notre quartier, au café d'Ezzahrouni, au Bardo, à la buvette de la faculté de droit, ou au café de la rue d'Irak à Lafayette.
Nous avions les mêmes amis. Nos plus beaux souvenirs restent ceux de la fac, avec notre groupe surnommé "les Tsiganes". On passait des nuits ensemble, jusqu'au petit matin parfois. Les mêmes habitudes, les mêmes fréquentations.
Nous nous sommes mariés la même année, en 1989. La vie nous a un peu éloignés : le travail, les enfants, nous ne vivions plus dans le même quartier. Mais à chaque retrouvaille, c'était toujours une veillée jusqu'à l'aube.
Il faudrait écrire un livre sur Ahmed, sur ses éclats et ses aventures de jeunesse... et d'après jeunesse.
Ahmed Souab parlait la même langue, partout : en famille, au café, à la radio, à la télévision, et même au tribunal. Il était proche de tout le monde : il parlait de la même façon au ministre, au juge, à l'employé, au chômeur. À sa cérémonie de départ à la retraite du Tribunal administratif, tous les juges étaient présents… mais surtout les agents, les huissiers, les employés, et notamment les femmes de ménage.
Dans ses prises de position, Ahmed n'avait jamais peur d'être dans la minorité, surtout en politique. Même au football : il était fou du Stade Tunisien ("La Baklawa"), même lorsque l'équipe a été rétrogradée en division 2, il continuait à la suivre, fidèle, assis en virage, refusant d'aller en tribune.
Ahmed était bridé par son devoir de réserve tant qu'il était juge. Mais après 2011, il s'est lancé pleinement dans la vie publique. Il a noué des liens forts avec les hommes politiques de tous bords, avec les organisations nationales, avec la société civile, avec les associations féminines, et surtout avec la jeunesse. Il avait un énorme "capital sympathie" auprès des journalistes, toutes générations confondues. Le reste, vous le connaissez : Ce qui comptait le plus pour Ahmed, c'était la crédibilité, le courage moral, la maîtrise du droit, et sa manière si particulière de présenter et d'expliquer ses positions.
Pour ne pas trop allonger ce témoignage… Ces dernières années, surtout depuis la retraite, chaque jour Ahmed faisait une marche. Et chaque jour, il m'appelait. On parlait au moins une demi-heure. On riait, on plaisantait, un peu de famille, un peu de foot… mais beaucoup de politique.
À chaque manifestation, depuis 2011, nous descendions ensemble. Surtout le 14 janvier et le 1er mai : pour lui, c'était sacré. À chaque rassemblement, nous étions présents. Parfois, on se relayait : "Il faut qu'il y ait au moins un Souab présent", disait-il.
Demain (aujourd'hui lundi 28 avril 2025 NDLR), Ahmed doit passer devant le juge d'instruction… sous des accusations "terroristes". Ahmed, l'ami de tous. Ahmed, le joyeux, l'homme de la blague. Ahmed, le militant bénévole.
Combien de conférences données gratuitement dans les universités, dans les syndicats, dans les colloques ? Combien de conseils juridiques, combien de plaidoiries en faveur des prisonniers d'opinion ? Je ne sais pas ce que demain nous réserve. Que Dieu nous protège. Quoi qu'il advienne, quelle que soit la décision du juge, Ahmed Souab restera Ahmed Souab. Et, inchallah, il reviendra parmi nous. Car Ahmed n'appartient plus seulement à notre famille. Ahmed est désormais un patrimoine pour tous les Tunisiens.