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Entre obéissance et conscience : à quel moment réaliser qu'obéir équivaut à trahir ?
Publié dans Business News le 29 - 04 - 2025

L'arrestation d'Ahmed Souab, magistrat respecté et fervent avocat, défenseur des droits humains et des causes justes, suscite en moi une colère profonde.
Les arrestations successives de militants des droits humains évoquent en moi un récit partagé par l'un de mes anciens patients, un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur à la retraite. Un soir, en fin de journée, je suis passé dans sa chambre pour une ultime visite médicale. Il a ressenti le besoin de confier un moment marquant de sa carrière, un secret, une expérience douloureuse.
Au lendemain de l'indépendance, m'a-t-il raconté, la Tunisie a été au bord d'une guerre civile, tiraillée entre les deux figures emblématiques du mouvement de libération, Bourguiba et Ben Youssef. Bourguiba, au pouvoir, a orchestré une répression féroce des Youssefistes. Les partisans de Salah Ben Youssef, qu'ils aient pris part à des actions violentes ou non, ont été arrêtés, torturés et parfois exécutés, entraînant la désintégration de familles entières.
Parmi les jeunes Youssefistes appréhendés, a-t-il ajouté, se trouvait un certain A.D, issu d'une famille aisée de Makthar, un propriétaire terrien engagé. A.D avait consacré sa richesse et sa vie à la cause nationale. Une fois son rêve d'indépendance réalisé, il fut arrêté et humilié par des fonctionnaires, dont beaucoup avaient servi sous le régime colonial. Torturé et emprisonné sans jugement, il sombra dans la folie. Mon patient n'a jamais connu la fin de l'histoire d'A.D et n'a pas été en mesure de me dire ce qu'il était devenu.
Ironie du sort : des années plus tard, j'ai eu à accueillir ce même monsieur A.D dans mon service ; il était devenu un vieillard brisé, interné à l'hôpital psychiatrique de La Manouba. Il n'était plus qu'un corps errant, sous l'effet de puissants neuroleptiques, ses rêves et idéaux anéantis, sa dignité piétinée. Chaque fois que j'entrais dans sa chambre, un poids de honte que je porte encore aujourd'hui pesait sur ma poitrine. Je prenais conscience que, d'une certaine manière, je lui devais ma citoyenneté, mes études et ma dignité de Tunisien, mais en même temps j'étais incapable de réparer le préjudice qu'il avait subi de la part d'un pays qu'il avait contribué à libérer.
Une fois le mal fait rien ne peut le réparer entièrement. Les bourreaux ne le réalisent peut être pas ?
À la lumière de l'arrestation d'Ahmed Souab, une question me tourmente : qui peut interroger les yeux dans les yeux un homme comme Souab ? Un homme, de toute évidence innocent des accusations qu'on lui colle, un homme qui a consacré sa vie à la justice, un juge puis un avocat intègre luttant pacifiquement pour nos libertés, qui peut mener son interrogatoire sans se sentir ridicule pour ne pas dire déconsidéré ?

Comment mener son interrogatoire sans vaciller dans sa conscience, sans réaliser qu'il ou qu'elle trahit son engagement professionnel ?
En dehors des palais de justice, certains juges témoignent de la souffrance vécue par certains d'entre eux. Des larmes silencieuses, des excuses murmurées dans un ascenseur, des regards fuyants et des phrases telles que « je ne fais que mon travail » illustrent la réalité de ceux qui subissent les ordres d'un pouvoir qui nie leur indépendance. Peut-on réellement leur en vouloir quand on sait que 57 d'entre eux ont été radiés et empêchés de poursuivre leurs carrières, malgré une décision du tribunal administratif ?
Faut-il les accabler, alors qu'ils se détruisent parfois moralement en accomplissant des actes contraires à leurs convictions ? Malheureusement, le pouvoir se sert des plus dociles pour punir injustement les prisonniers politiques.
Mais que signifie véritablement « faire son travail sans se poser de questions » lorsque ce travail devient un instrument de répression ? Quelles en sont les implications morales et éthiques ?
Hannah Arendt a révolutionné notre compréhension de l'obéissance dans les systèmes autoritaires. À travers l'affaire Eichmann, elle a mis en lumière la notion de « banalité du mal », soulignant que celui-ci ne réside pas uniquement chez des monstres, mais peut également émaner d'individus ordinaires, souvent motivés par un conformisme aveugle. Cette banalité du mal ne traduit pas l'absence de cruauté, mais plutôt un manque de réflexion et un renoncement à la responsabilité. La question de la responsabilité se pose : comment celui qui se retranche derrière l'obéissance à un ordre peut-il échapper à son choix moral ? Le fonctionnaire qui agit sous autorité, tout en sachant qu'il enfreint les principes de justice, prive un innocent de sa liberté, brise une vie pour des opinions contraires au pouvoir et partage la culpabilité de cet acte.
Obéir à un ordre injuste, n'est pas un acte de devoir, mais un refus d'assumer sa liberté, une fuite devant l'engagement moral.
L'obéissance sans jugement peut devenir l'alpha et l'oméga des pires régimes. Ceux qui affirment « je ne fais que mon travail » échouent à se poser la question fondamentale de la responsabilité morale : quelles sont les conséquences de mes actes et quel prix humain doivent-ils payer ?
Cependant, l'exécution d'un ordre injuste n'est pas nécessairement absolue ; chaque acteur, du gardien de prison au président de la cour de cassation, possède une marge de manœuvre pour atténuer l'injustice. C'est ici qu'intervient la distinction entre un exécutant zélé et un exécutant contraint.
Chaque acte répressif, chaque dossier monté pour un délit d'opinion, chaque arrestation arbitraire témoigne de l'échec de la pensée humaine, de la victoire illusoire d'un ordre prétendument juste, alors qu'il est fondamentalement injuste. Le mal se cache dans l'absence de réflexion et dans le déni de la liberté de penser.
Il ne s'agit pas de défendre une désobéissance aveugle, mais de rappeler que l'obéissance sans discernement ouvre la voie à l'injustifiable. Nul ne peut se soustraire à sa responsabilité personnelle face à ses actes, quelles que soient l'apparente légitimité de l'ordre et les lois répressives qui le soutiennent.
Dans cette époque où la question de la résistance face à un pouvoir autoritaire est plus cruciale que jamais, il est impératif de rappeler aux juges, procureurs et policiers : vous avez encore le choix. Même au sein des rouages du pouvoir, il est possible de préserver l'humanité. Un regard, un silence, une hésitation, une parole discrète peuvent constituer des actes de résistance, aussi modestes soient-ils, mais essentiels.
Il ne suffit pas de dire : « Je ne fais que mon travail ». Encore faut-il se demander quel travail, pour quelle fin, et à quel prix, car in fine, malgré leur statut d'exécutants, c'est eux que l'histoire jugera, et ils le savent.


* Professeur de médecine et ancien ministre de la Santé


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