Le parlement tunisien a adopté à l'aube de mercredi dernier la loi N°16 de l'année 2025 portant sur l'organisation des contrats de travail et l'interdiction de la sous-traitance. Aucun député n'a voté contre cette loi et seulement quatre députés se sont abstenus. C'est dire que visiblement, cette loi était largement soutenue sous l'hémicycle. L'est-elle autant dans le pays ? Une loi présentée comme une réalisation Comme attendu, cette loi a été clamée par les inconditionnels du président, y compris par le président de la République lui-même, comme une réalisation révolutionnaire du pouvoir en place presque équivalente à la loi portant sur l'interdiction de l'esclavage décrétée par le Bey de Tunis au 19e siècle. De l'autre côté, elle a été accueillie timidement et même décriée par la plupart des experts économiques qui lui prédisent un effet aussi calamiteux que celui de la loi sur les chèques. Quoi qu'il en soit, seule la pratique sur le terrain pourrait nous renseigner et nous donner une appréciation exacte de l'efficacité de cette loi. En attendant, quelques remarques s'imposent. Sur le plan terminologique, cette loi garde un vieil amalgame entre la sous-traitance et l'externalisation de quelques activités des entreprises, deux politiques distinctes, qui peuvent exister d'une manière concomitante ou séparée en fonction des besoins au sein d'une entreprise. En aucun moment, en dehors des cercles des spécialistes, nous n'avons cherché à clarifier cet amalgame et délimiter les contours de chacune des deux politiques de sous-traitance et d'externalisation, leurs activités spécifiques et probablement leurs zones d'intersection. Dans l'imaginaire collectif, nous avons restreint la définition de la sous-traitance au seul concept de sous-traitance de la main d'œuvre. Ceci est en rapport avec l'apparition dans les années 90 d'une nouvelle génération de sociétés de services qui louent la force de travail de leurs ouvriers à des entreprises tierces. Ces sociétés de services étaient, dès leur apparition, en infraction avec le Code de travail en vigueur, mais elles ont bénéficié de leur accointance avec le pouvoir en place de l'époque. Les deux secteurs d'activités de prédilection de ces nouvelles sociétés de service sont le gardiennage et les travaux d'entretien et de nettoyage. Le personnel de ces sociétés est, pour la plupart, très pauvre, mal instruit, très mal payé, en deca du salaire minimum et sans aucune couverture sociale, alors que le fruit de ses efforts est facturé par ses employeurs au prix fort. En Tunisie, la sous-traitance de la main d'œuvre a toujours été décriée par les syndicats, bien avant la révolution. Les efforts de l'UGTT et des organisations de la société civile ont permis d'interdire la sous-traitance de la main d'œuvre dans la fonction publique dés les premiers mois de la révolution et d'ouvrir le dossier, toujours ouvert, des formes précaires de l'emploi, utilisées à tour de bras par l'ancien régime, dans le but de maquiller les statistiques du chômage. Une loi votée dans la précipitation Ce qui est reproché à la nouvelle loi sur l'interdiction de la sous-traitance, c'est la précipitation qui a caractérisé sa présentation, sa discussion et son adoption. Tout porte à croire que le pouvoir en place voulait, au plus vite, marquer une réalisation dans son palmarès. Aucune étude d'impact sérieuse n'a été effectuée au préalable. Les consultations faites au sein de la commission parlementaire étaient à sens unique et les parties les plus concernées, c'est-à-dire les travailleurs et leurs représentants ont été ignorés. Même si cela ne constitue pas une surprise de la part d'un pouvoir qui a affiché, dès son avènement, sa volonté d'effacer toutes les structures intermédiaires, il reste incongru de penser qu'il est possible de promulguer une loi sans consulter les premiers intéressés par son contenu. Aurait-il été possible de décréter une loi qui bannit les formes de précarité de l'emploi tout en préservant des modèles économiques qui ont prouvé leur efficacité ? La mise en application de cette loi nous renseignera sur sa perspicacité. En attendant, les prémices d'une nouvelle crise pointent à l'horizon. Des entreprises commencent déjà, en prévision de l'entrée en vigueur de cette loi, à se séparer de leurs travailleurs sous contrats à durée déterminée et des dizaines d'employés sont déjà sortis de leur précarité pour se retrouver carrément au chômage.