• Les entreprises auront toujours besoin de compétences à courte durée et forcément aux services des intérimaires. • L'absence d'un cadre réglementaire clair a favorisé des abus, des pratiques illégales, des rémunérations dérisoires, des conditions de travail dégradantes... Bref, une déshumanisation du travail et des travailleurs. La flexibilité du travail est-elle synonyme de la précarité des emplois? La réponse n'est pas aussi facile qu'on le pense. Que l'on soit travailleur, demandeur d'emploi, syndicaliste ou entrepreneur, on pourrait avancer des réponses bien différentes, mais aussi bien argumentées. Ce qui prête, évidemment, à équivoque. Force est de constater, alors, que cette notion de flexibilité du travail, qui crée autant de polémique, obéit à plusieurs interprétations et varie selon les approches adoptées par les parties prenantes, à savoir l'entreprise, le travailleur, le syndicat, l'Etat et les corps intermédiaires de la société civile. Et l'absence d'un cadre juridique clair, en Tunisie, est de nature à creuser cette divergence des visions. En se fiant aux bonnes intentions et aux objectifs des entreprises qui mettent en place des politiques de flexibilisation du travail en vue de s'adapter aux évolutions de l'environnement, la flexibilité se place comme l'un des moteurs de la compétitivité. A cet égard, M. Jamal Belahrach, président du Manpower Group Maghreb, a relevé : «Le business a changé: l'entreprise est de plus en plus légère et flexible». Selon l'expert, avec des entreprises compétitives, on déclenchera la chaîne des causes à effets du cercle vertueux de croissance et d'emploi. «Plus compétitive, l'entreprise génère plus de marchés, plus de croissance, plus d'emploi...», a-t-il souligné. Aujourd'hui, à l'échelle internationale, les entreprises se concentrent sur le cœur de leurs métiers et ont recours, quasi automatique, à la sous-traitance des autres activités à des opérateurs qualifiés et compétents, non seulement en transport, comptabilité ou en communication, mais aussi en gardiennage, jardinage, nettoyage... Outre le bénéfice des services de spécialistes, l'externalisation présente de nombreux avantages aux entreprises. Notamment, la maîtrise des coûts et des délais de mise en œuvre et une plus grande flexibilité permettant d'aligner les coûts sur ceux de fournisseurs du même domaine. Mieux encore, les dirigeants se trouvent libérés des tâches routinières à faible valeur ajoutée. Ce qui se traduit par une marge supplémentaire pour la réflexion stratégique et le développement de l'entreprise. Ainsi, compétitivité oblige, la flexibilité est vivement recommandée. Lutter contre la sous-traitance farouche L'absence d'un cadre réglementaire clair a dressé, en arrière-plan des politiques de flexibilité du travail, une réalité atroce : des abus, des pratiques illégales, des rémunérations dérisoires, des conditions de travail dégradantes... Bref, une déshumanisation du travail et des travailleurs. «Il s'agit des entreprises qui ont accepté de travailler avec des sous-traitants qui ne cessent de dégrader le facteur travail», analyse-t-il. Ainsi, autour des principales compagnies d'intérim qui œuvrent selon leurs propres règles et standards internationaux, s'est développé un large tissu d'entreprises de sous-traitance de main-d'œuvre dans la limite de la clandestinité. «Le poids de ces opérateurs informels et l'ampleur de leurs pratiques ont entaché l'image des entreprises d'intérim et ont pesé lourd sur les employés», déplore M. Belahrech. Réagissant à ce fléau, la société civile et principalement les centrales ouvrières ont diabolisé le travail intérimaire et les entreprises de ce secteur, «mettant tous les opérateurs dans le même sac», précise-t-il. Pointé du doigt comme étant la graine du mal du déséquilibre sur le marché du travail, et plus précisément après la révolution, on ne ménage aucun effort pour qualifier ces opérateurs de vendeur d'heures de main-d'œuvre, commerçant de ressources humaines, ou tout simplement des exploitants de main-d'œuvre. Pourtant, l'objectif de l'intérim est de servir les intérêts des entreprises et des travailleurs. Pour un jeune diplômé, enchaîner les missions est de nature à constituer une expérience professionnelle significative, principale exigence des recruteurs. Pour ce qui est des entreprises, quoi qu'il en soit, elles auront toujours besoin de compétences à courte durée et forcément aux services des intérimaires. D'où, restructurer cette activité de manière à préserver un revenu décent et des conditions de travail motivantes pour les employés sans nuire à la compétitivité des entreprises est plus que nécessaire pour les intérêts de tous les opérateurs, entreprises, intérimaires et employés. Pour ce faire, le professionnel n'a cessé de rappeler la nécessité d'un sommet social qui regroupe, autour de cette thématique, toutes les parties prenantes en vue de définir les priorités, d'assigner les responsabilités, d'arrêter les programmes et de fixer les règles du jeu. Ainsi, pour les entreprises, il met l'accent sur leur rôle de créateur de richesses et d'emploi. Pour sa part, l'Etat doit être en mesure d'assumer ses fonctions régaliennes. Il énumère «l'éducation, la formation, les règles de concurrence équitables, une politique de protection sociale». Et pour ce qui est des partenaires sociaux, il sont appelés à favoriser un dialogue social permanent, constructif et dans l'intérêt général. En d'autres termes : participer à la construction d'une politique de l'emploi. Un métier en péril La perte de postes d'emplois a marqué tous les secteurs, ou presque, mais à chaque fois, et en premier lieu, la sous-traitance est pointée du doigt. Ce métier est touché de plein fouet. Pourtant, ces opérateurs flexibles sont censés être les plus dynamiques en période de crise. Il est à rappeler qu'il s'agit d'un secteur d'activité en bonne et due forme. A titre d'exemple, le gardiennage, avec 135.000 postes d'emploi, est régi par des lois internationales et complété par des formations et un agrément du ministère de l'Intérieur. De même, l'intérim apporte beaucoup aux entreprises nécessiteuses de compétences spécifiques pour une courte durée. Il est vrai que la majorité des employés intérimaires souffrent de marginalisation, de manipulation, et considérés comme des emplois jetables. Une telle situation a alimenté les tensions sociales et a inscrit au plus haut des demandes, à chaque fois, l'insertion de ces employés dans l'entreprise cliente. Ce qui mène tout droit à la disparition du secteur, malgré ces avantages. Cette tendance a été accélérée par l'interdiction aux entreprises publiques de faire appel à ces entreprises de service. Toutefois, une meilleure organisation du secteur aurait pu sauver des milliers de postes, voire en créer d'autres. En somme, renoncer au service des entreprises d'intérim semble être une fausse piste.