Transférés de la prison de la Mornaguia vers des établissements éloignés, les prisonniers politiques Ridha Belhaj et Issam Chebbi ont chacun fait part de leur réaction depuis leur nouvel enfermement, dénonçant une opération politique visant à les isoler davantage et à briser leurs familles. Dans une lettre poignante rédigée depuis la prison de Borj Erroumi à Bizerte, Issam Chebbi s'insurge : « En vain, ils essaient d'atteindre notre moral en nous dispersant dans les prisons, en s'acharnant contre nous et nos familles. Mais notre résistance restera le combustible du flambeau de la liberté. Notre affaire demeurera le symbole de l'injustice, du despotisme et d'absence d'un véritable Etat de droit ». Avec émotion, Issam Chebbi rappelle sa première visite à Borj Erroumi à l'âge de 11 ans, pour voir son frère Ahmed Néjib Chebbi, alors détenu pour des accusations similaires. « C'est ainsi que le retour en arrière prend tout son sens… », a-t-il relevé en référence au slogan du pouvoir qui assène pourtant qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Et de conclure, à l'adresse des « libres de Tunisie » : « Il est temps de rétablir l'équilibre des forces pour une Tunisie démocratique et juste ».
De son côté, Ridha Belhaj, désormais emprisonné à Siliana, dénonce une tentative de plus de briser sa volonté : « Ils m'ont transféré de force, loin de ma famille, de mes enfants, de mes avocats. Mais ils ignorent que les distances ne brisent pas la détermination, et que les murs des prisons ne peuvent étouffer la vérité ». Il rappelle que ses compagnons de lutte, Ghazi Chaouachi et Issam Chebbi, sont également « éparpillés » à travers le pays, mais restent fidèles à leurs convictions. « Nous sommes des prisonniers d'opinion, pas des criminels comme ils veulent nous faire passer. Nous ne reculerons pas, nous ne négocierons pas, nous ne nous tairons pas. Et plus la répression s'intensifie, plus l'aube se rapproche ».
La réaction de Ghazi Chaouachi, elle, a été portée par le témoignage de son fils, Youssef, qui décrit une opération brutale et illégale menée dans la soirée du 28 mai. Huit agents cagoulés ont fait irruption dans sa cellule, l'ont menotté et violemment traîné jusqu'à un fourgon pénitentiaire, malgré son refus catégorique de ce transfert qu'il juge illégal. Il a perdu connaissance durant le trajet vers la prison d'Ennadhour, à Bizerte. À l'arrivée, il a été brièvement pris en charge par le personnel médical, après deux heures de vertiges et de vomissements sans soins. Sa famille a annoncé son intention de porter plainte pour torture contre les plus hautes autorités : le directeur de la prison de la Mornaguia, le chef de la direction générale des prisons, la ministre de la Justice Leila Jaffel, et le président Kaïs Saïed. L'avocat commun des détenus, Me Abdorahman Hassen Chouchane, avait annoncé, jeudi 29 mai le transfert de plusieurs prisonniers et dénoncé une vengeance d'Etat : « Pourquoi tant de haine ? Est-ce qu'il ne suffit pas qu'ils soient emprisonnés, privés de visites directes, faut-il encore forcer leurs proches à parcourir des centaines de kilomètres pour les voir ? ». Le même sort a frappé d'autres condamnés dans cette affaire qualifiée de complot contre la sûreté de l'Etat. Kamel Bedoui a été transféré à la prison de Sers et Kamel Letaïef à Borj El Amri. Me Dalila Ben Mbarek Msaddek, également membre de la défense, accuse le pouvoir d'avoir franchi une nouvelle ligne rouge : « Votre appétit de vengeance n'a pas été rassasié par deux années d'accusations mensongères et de détention d'innocents sans procès. Vous les isolez maintenant dans des prisons reculées, coupés du monde et de leurs avocats… ».
Condamnés à dix-huit ans de prison ferme, Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi et Ridha Belhaj attendent encore l'examen de leur pourvoi.