La chambre criminelle spécialisée dans les affaires de terrorisme près le tribunal de première instance de Tunis a rendu son verdict dans l'un des dossiers les plus emblématiques du salafisme radical tunisien. Le prédicateur Khatib El Idrissi, surnommé « le cheikh des salafistes », a été condamné à 22 ans de prison ferme pour avoir incité, à travers ses prêches, au jihad en Syrie et à rejoindre des groupes terroristes. Cinq autres accusés ont écopé de la même peine, dont deux sont actuellement incarcérés et trois toujours en fuite. Tous étaient poursuivis pour avoir diffusé des appels au jihad et avoir tenu des réunions secrètes avec des prédicateurs radicaux tunisiens et libyens.
Une figure centrale du salafisme jihadiste Originaire de Sidi Ali Ben Aoun, à Sidi Bouzid, Khatib El Idrissi n'est pas un inconnu des services de sécurité. Il avait déjà été arrêté en 2015 dans une affaire à caractère terroriste, avant d'être libéré faute de preuves tangibles. Son nom reste pourtant associé, dans les milieux sécuritaires et judiciaires, à la genèse du jihadisme tunisien post-révolutionnaire. Aveugle depuis plusieurs années, refusant d'être filmé ou enregistré, Khatib El Idrissi est considéré comme le mentor idéologique de Seïf Allah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, chef du mouvement terroriste interdit Ansar Al chariâa. Selon les éléments du dossier, les deux hommes auraient tenu des réunions dès 2011, juste après la sortie de prison d'El Idrissi, pour jeter les bases de cette organisation et organiser son tout premier congrès à Kairouan. S'il n'appelait pas explicitement au combat armé, ses discours portaient les marques d'une idéologie salafiste dure, imprégnée du wahhabisme le plus strict. Formé en Arabie saoudite auprès de figures de l'islam radical comme Abdelmajid Zendani ou Ibn Baz, Khatib El Idrissi était devenu, dès la fin du régime Ben Ali, une référence incontournable pour les partisans du salafisme en Tunisie. Selon les enquêtes, bon nombre de ses disciples ont ensuite basculé vers la mouvance jihadiste armée, rejoignant Ansar Al Chariâa ou le groupuscule « katiba Okba Ibn Nafâa », actif dans les maquis, notamment du côté de Kasserine et du mont Chaambi.
L'appel du «néfir el âam» de 2014 L'un des éléments clés du dossier judiciaire concerne une réunion tenue en mars 2014 avec des leaders salafistes tunisiens et libyens, au cours de laquelle El Idrissi aurait proclamé que la Tunisie était entrée dans la phase du « néfir el âam» (النفير العام), soit l'appel général au soulèvement et au jihad armé, étape ultime selon la doctrine jihadiste. C'est dans ce contexte que plusieurs attentats suicides ont été évoqués.
Ce verdict marque la fin d'un long feuilleton judiciaire. Il rappelle aussi combien la Tunisie continue de payer les conséquences d'années d'ambiguïtés et de laxisme face à la montée d'un radicalisme idéologique structuré, méthodique, et profondément enraciné.