Episode 1 – Le jour où la République s'est ennuyée, mais pas les voyants Le 25 juillet 2025. Une fête nationale, un quatrième anniversaire de putsch, un jour historique, nous disaient-ils. On allait voir ce qu'on allait voir. Et qu'a-t-on vu ? Rien. Absolument rien. Un vide tellement parfait qu'on aurait pu l'emballer et le vendre comme produit national. Pas de discours, pas de message à la nation, pas même une petite apparition télévisée pour nous dire : « Bonne fête de la République, et joyeux anniversaire à moi-même ». Non. Silence radio. Kaïs Saïed n'a même pas pris la peine de feindre l'enthousiasme. Heureusement, quelques fidèles étaient là pour sauver la mise. Une poignée, littéralement. Quatre pelés et trois tondus ont suffi pour transformer le théâtre municipal en salle des fêtes présidentielle. On a accroché une banderole géante à l'effigie de Kaïs Saïed. Le théâtre, symbole de neutralité depuis des décennies, a baissé pavillon. Ni pour les martyrs, ni pour la Palestine, il n'avait accepté cela. Mais pour un portrait présidentiel, tout est possible. La République peut bien attendre.
Naoufel, notre Madame Irma nationale Et pendant que la Tunisie s'endormait au son de la darbouka, Naoufel Saïed, lui, voyait l'avenir. Oui, Naoufel, le frère du président. Sans fonction officielle mais avec un talent rare : celui de prédire ce qui se serait passé… si son frère n'avait pas pris le pouvoir. Selon lui, sans le putsch, la Tunisie aurait sombré dans le chaos. Un vrai don de clairvoyance. Il devrait ouvrir un cabinet de voyance, entre deux conférences sur le capitalisme et le shiisme. Parce qu'il faut oser. Oser dire que sans le 25-Juillet, la Tunisie aurait sombré, alors que la seule chose dans laquelle elle a plongé depuis, c'est un mélange de prisons pleines, de libertés bâillonnées et de débats publics réduits au silence. Avant le putsch, la Tunisie avait encore des élections pluralistes, des journalistes qui pouvaient critiquer sans risquer la case prison, des lobbyistes et des hommes d'affaires (oui, ces affreux indispensables à toute démocratie). Aujourd'hui, on a des slogans criés par des fidèles en pleurs et des militants des droits humains derrière les barreaux. Alors merci Naoufel. Grâce à votre frère, on a échappé au chaos. On a gagné… le chaos organisé. Avec un peu moins de liberté, mais beaucoup plus de darbouka.
Episode 2 – La Steg éclaire nos vies… par ses excuses Bienvenue en Tunisie, été 2025. Le pays où l'on peut perdre un contrat à cause d'une coupure d'électricité mais où, rassurez-vous, on vous rappellera gentiment de régler votre climatiseur à 26 degrés. C'est presque un art : la Steg distribue ses conseils comme une maman inquiète. « Ne faites pas tourner votre machine à laver à 18 h, mes enfants, attendez la nuit ». Tout ça pendant qu'elle-même n'arrive même pas à faire son métier : fournir de l'électricité. Mais chut, le coupable, c'est vous, citoyen. Vos climatiseurs sont responsables de l'effondrement du réseau, pas un Etat incapable d'assurer une production suffisante. Les chiffres ? Personne n'en parle. Pourtant, ils sont bien têtus. : l'industrie consomme 61 % de l'électricité haute et moyenne tension, mais on préfère accuser le citoyen plutôt que de produire plus. Plus simple de chercher un bouc émissaire que d'admettre un échec. Et pourtant, la solution est sous notre nez : le soleil 300 jours par an. Mais la production renouvelable stagne à… 6 %. Pas question de libéraliser le secteur ou d'autoriser les particuliers à revendre leur surplus d'énergie solaire. Pire, on vous interdit même d'acheter des batteries pour stocker l'électricité. La voiture électrique ? Une blague. L'Etat vous incite à l'acheter, mais interdit aux stations-service de vendre de l'électricité. Vous rechargez chez vous… quand il y a du courant. Et pendant qu'on nous parle de « croissance », les entreprises perdent de l'argent à chaque coupure, les commerçants éteignent leurs caisses enregistreuses en pleine journée, et la Tunisie reste figée dans un modèle des années 1980. Ici, la seule chose qui progresse vraiment, ce sont les factures… et les coupures.
Episode 3 – Auschwitz était hier, Gaza est aujourd'hui Thierry Ardisson est mort le 14 juillet. À 76 ans, il nous laisse cette phrase qu'on n'oubliera pas : « C'est Auschwitz, voilà ! » Non, il ne l'a pas dite avant tout le monde. Il l'a prononcée après une longue liste de voix qui, depuis près de trois ans, dénoncent l'horreur — une horreur devenue insoutenable. Une horreur que plus personne ne peut feindre d'ignorer, même en Occident, tant les images notamment d'enfants faméliques hantent désormais nos écrans. Pourtant, en osant mettre un mot aussi fort sur l'indicible, il en a payé le prix : violemment attaqué par les soutiens indéfectibles d'Israël, toujours prompts à maquiller les exactions, voire à redoubler de virulence à mesure que celles-ci deviennent impossibles à nier. Car ce que vit aujourd'hui Gaza n'a rien d'une « opération militaire ». C'est un camp à ciel ouvert. Les bombes ont laissé place à un ennemi plus silencieux : la faim. Une centaine de Palestiniens déjà morts de malnutrition, dont des enfants au corps décharné, aux yeux caves. Six cent mille personnes, dont soixante mille femmes enceintes, luttent chaque jour pour un morceau de pain. Des hommes s'écroulent dans les rues, des enfants meurent sur des tables d'hôpital faute de lait, des pères risquent leur vie pour une poignée de lentilles. Et lorsque des foules affamées se pressent aux points de distribution, elles sont accueillies par des tirs. À Auschwitz, on exterminait par les chambres à gaz. À Gaza, on tue par la faim. À Auschwitz, la propagande servait à nier l'horreur. À Gaza, les médias israéliens mainstream floutent les images, parlent de « fake news » ou les taisent pour ne pas troubler l'opinion. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un historien israélien des médias, Jérôme Bourdon : des journalistes israéliens eux-mêmes avouent qu'ils ne montrent pas la famine parce que « leur public n'en veut pas ». Hitler justifiait ses crimes par une idéologie de domination. Netanyahu aussi. Il parle de « sécurité nationale », mais ce n'est qu'un masque. Sa guerre est, elle aussi, idéologique : l'écrasement d'un peuple, la négation de son existence, la destruction de tout ce qui peut lui ressembler à un Etat. Hitler a eu des alliés pour l'arrêter. Netanyahu, lui, a des alliés pour l'encourager. C'est peut-être la seule différence entre les deux hommes. Mais l'histoire ne pardonne jamais longtemps. Hitler a fini dans un bunker, rejeté par l'humanité entière. Netanyahu finira, lui aussi, dans les poubelles de l'Histoire, avec le même destin que tous ceux qui ont fait de la barbarie un programme politique. Parce qu'on peut tuer des enfants, affamer des familles et raser des villes, mais aucun génocidaire n'a jamais échappé à cette vérité : les tyrans meurent toujours deux fois. Une première fois dans leur corps. Une seconde fois dans la mémoire des peuples.