À partir de demain, vendredi 1er août, les exportations tunisiennes vers les Etats-Unis seront frappées d'un droit de douane de 25 %. Cette décision de Donald Trump, annoncée depuis plusieurs mois, n'a suscité aucune réaction officielle à Tunis. Ni négociation, ni voyage ministériel, ni même un mot. Dans un monde qui s'organise face à la guerre commerciale américaine, la Tunisie s'efface. C'est officiel. À compter de demain 1er août, tous les produits tunisiens exportés vers les Etats-Unis seront soumis à une surtaxe douanière de 25 %. Cette mesure, annoncée depuis le mois d'avril par l'administration Trump, entre en application sans que la Tunisie n'ait esquissé le moindre geste diplomatique pour l'atténuer ou l'éviter. La lettre adressée le 7 juillet à Kaïs Saïed par le président américain, aux accents brutaux et sans ambiguïté, n'a suscité aucune réaction publique. Le silence s'est installé. Et avec lui, la pénalité économique.
Les exportateurs en ligne de mire, l'huile d'olive particulièrement exposée L'impact économique sera lourd, particulièrement pour l'huile d'olive tunisienne, produit emblématique de nos exportations agricoles vers les Etats-Unis. En 2024, la Tunisie a exporté environ 29.000 tonnes d'huile d'olive vers le marché américain, générant plus de 500 millions de dinars de recettes. Ce marché, en progression constante ces dernières années, constitue le deuxième débouché mondial après l'Union européenne. Avec 25 % de droits de douane supplémentaires, ces exportations deviendront quasiment non compétitives. Déjà confrontés à des fluctuations de production et à une pression accrue sur les prix, les oléiculteurs et exportateurs se retrouvent sans marge de manœuvre. Aucun plan de repli n'a été annoncé. Aucun mécanisme d'aide n'est prévu.
Une passivité qui confine à l'abandon Le plus frappant dans cette affaire n'est pas tant la décision américaine – attendue, expliquée, même théorisée par Trump dans ses discours sur l'indépendance économique – que la posture tunisienne. Ou plutôt, son absence. Depuis avril, date des premiers avertissements, aucun responsable tunisien n'a pris la parole. Aucune conférence de presse. Aucun déplacement officiel aux Etats-Unis. Aucun émissaire. Aucune initiative. Le ministère du Commerce ? Muet. La présidence de la République ? Silencieuse. La Kasbah ? Invisible. Pendant que l'Union européenne envoyait des délégations à Washington, que le Royaume-Uni arrachait un accord en mai, que l'Indonésie et le Vietnam adaptaient leurs stratégies, la Tunisie n'a rien tenté. Et au soir de l'échéance, elle se retrouve sanctionnée… dans l'indifférence de ses propres institutions.
Pendant ce temps, les autres négocient ou résistent Face à la stratégie offensive de Donald Trump, les autres pays n'ont pas tous plié. Certains ont négocié, souvent dans la douleur. D'autres ont résisté frontalement. Et tous ont au moins réagi. Tous… sauf la Tunisie. Prenons d'abord le cas du Brésil. Le pays sud-américain a été frappé d'une surtaxe de 50 % sur la majorité de ses exportations vers les Etats-Unis. Un coup de massue tarifaire aux allures de représailles politiques. Car cette sanction n'est pas motivée par un déséquilibre commercial ou des droits de douane élevés, mais par les poursuites judiciaires engagées au Brésil contre Jair Bolsonaro, ex-allié de Trump, soupçonné de tentative de coup d'Etat en 2022. En réponse, Trump a signé un décret le 30 juillet justifiant la surtaxe par « la menace inhabituelle et extraordinaire que constitue le Brésil pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis ». Le Brésil, lui, n'a pas gardé le silence. Le président Lula a dénoncé une attaque contre la souveraineté nationale et déclaré un « jour sacré de résistance ». Le ministre des Affaires étrangères brésilien a convoqué les diplomates américains pour contester formellement la décision, rappelant l'indépendance du pouvoir judiciaire. Plus encore, le gouvernement brésilien a activé une loi de réciprocité votée dès avril, qui permet de suspendre unilatéralement certains engagements commerciaux et protections de propriété intellectuelle en réponse à des mesures hostiles. Une riposte juridique et politique assumée. Et surtout, une ligne rouge claire : le Brésil, même sanctionné, n'accepte pas de se faire humilier. À l'inverse, l'Union européenne a choisi la voie de la négociation intensive, mais sous une pression inédite. Depuis avril, Bruxelles multiplie les échanges diplomatiques pour éviter les 30 % de surtaxe initialement annoncés. Ursula von der Leyen a mobilisé ses commissaires, organisé des consultations d'urgence, et s'est rendue en Ecosse pour arracher un compromis avec Trump à la dernière minute. Le résultat ? Un accord fragile, conclu le 27 juillet, qui plafonne les droits de douane sur les exportations européennes à 15 %. Un taux certes inférieur au scénario-catastrophe envisagé (30 %), mais qui reste historiquement élevé – six fois supérieur aux niveaux en vigueur en 2024. Surtout, ce compromis a été obtenu au prix de lourdes concessions sectorielles, notamment sur l'acier, l'automobile, l'agroalimentaire et les quotas d'importation de produits américains dans l'UE. La presse économique européenne parle d'un « Munich commercial ». L'éditorialiste du Wall Street Journal y voit une capitulation tactique. Car malgré la mise en scène d'un accord équilibré, la réalité est plus crue : l'Europe a cédé pour éviter le pire, sans rien obtenir de durable. Et elle en est consciente. Les milieux d'affaires européens sont furieux, les industriels dénoncent une distorsion de concurrence, et les gouvernements cherchent à sauver la face. Mais au moins, ils ont négocié, ils ont communiqué, ils ont défendu leurs positions. Même battus, ils ont été présents. La Tunisie, elle, n'a pas seulement perdu la bataille. Elle n'a même pas participé au combat. Elle n'a pas protesté, pas défendu sa souveraineté, pas protégé ses exportateurs, pas même informé ses citoyens. Elle a regardé le monde s'agiter, et s'est contentée de s'effacer. Le silence, une fois encore, comme ligne diplomatique. Le silence… et la sanction.
« Négociations en silence » : la farce de la com' fantôme Sur les réseaux sociaux, certains affirment que la Tunisie négocie « en silence ». On devine des dirigeants gouvernementaux qui s'expriment dans l'anonymat. L'argument est non seulement fallacieux, mais indigne d'un Etat démocratique. La Tunisie n'est pas la propriété privée de ses dirigeants. Les négociations économiques internationales doivent être transparentes, assumées, discutées. Ce silence n'est pas de la discrétion diplomatique. C'est du déni de responsabilité. Et surtout, il est faux de prétendre qu'il y a eu négociation. Car aucun ministre tunisien ne s'est rendu à Washington depuis avril. Aucun ambassadeur n'a été missionné pour traiter ce dossier. Il ne suffit pas de rester assis derrière un écran à Tunis pour prétendre défendre nos intérêts. Le reste du monde a agi. Nous, nous avons attendu.
Conquérir de nouveaux marchés ? Une mission quasi impossible Certains, dans un autre registre tout aussi coupable, renvoient la responsabilité aux exportateurs eux-mêmes. Il leur suffirait, selon ces discours faciles, de « conquérir d'autres marchés ». Mais comment ? Les Tunisiens doivent obtenir un visa pour se rendre dans la majorité des pays. Un visa long, aléatoire, conditionné à des justificatifs absurdes. Ils doivent déclarer à l'avance où ils vont, qui ils vont voir, pour combien de temps, avec quels revenus. Or l'exploration de nouveaux marchés, dans une économie ouverte, suppose agilité, spontanéité, flexibilité. À cela s'ajoutent les coûts prohibitifs des déplacements, l'indisponibilité des devises pour financer les missions commerciales, l'absence de soutien logistique de l'Etat. Comment conquérir l'Asie ou l'Amérique latine dans ces conditions ? Ceux qui demandent aux exportateurs tunisiens de se débrouiller seuls le font depuis des bureaux climatisés. Et oublient que sans cadre diplomatique, sans accès aux devises, sans liberté de mouvement, l'ouverture est un mirage.
Une dépendance accrue à l'Europe… et un futur incertain Conséquence directe : la Tunisie, privée du marché américain, va accroître sa dépendance à l'Europe. Mais l'Europe, qui impose déjà des quotas stricts sur l'huile d'olive, ne peut absorber l'excédent. La Tunisie est désormais confrontée à une question brutale : où écouler sa production ? Aucune réponse. Aucune anticipation. Nous passons ainsi d'une diversification progressive à une reconcentration forcée. Et l'Etat tunisien regarde ailleurs. En 2024, nous avions un excédent de 215,8 millions de dinars dans nos échanges avec les Etats-Unis. En janvier 2025, ce solde est devenu négatif (-59,9 millions). Avec cette surtaxe, le déficit va se creuser. Et personne ne semble s'en émouvoir.
Une condamnation à l'effacement Ce qui se joue aujourd'hui dépasse une simple surtaxe de 25 %. Il s'agit d'une reconfiguration du commerce mondial. Les pays qui réagissent obtiennent des compromis. Ceux qui protestent obtiennent du respect. Ceux qui se taisent deviennent des cibles. Trump n'a pas ciblé la Tunisie par hasard. Il a vu nos taux douaniers (jusqu'à 55 % sur certains produits américains), il a observé notre isolement, et il a deviné que nous ne réagirions pas. Il avait raison. Ce n'est pas seulement une erreur économique. C'est une faute politique. Car à force de ne rien dire, de ne rien faire, de ne rien prévoir, la Tunisie ne défend plus rien. Ni ses producteurs. Ni ses exportateurs. Ni même sa souveraineté économique. Le sujet n'a même pas été évoqué lors de la visite en Tunisie de Massad Boulos, principal conseiller du président américain Donald Trump pour les affaires arabes, du Moyen-Orient et de l'Afrique, si l'on s'en tient aux communiqués officiels publiés par Carthage et par le ministère des Affaires étrangères. Et le plus tragique, c'est que demain, quand les prix vont chuter, quand les emplois vont disparaître, quand les exportations vont s'effondrer, on nous dira encore que « tout va bien ».