Alors que les décisions de Donald Trump secouent le commerce mondial, la Tunisie s'enlise dans le silence. Le président américain a imposé de nouveaux droits de douane sur les exportations tunisiennes et offre une trêve de 90 jours à certains pays. Pendant ce temps, Tunis tergiverse, au risque de sacrifier ses intérêts économiques. Le 2 avril 2025, le président américain Donald Trump annonce une mesure choc : l'imposition immédiate de nouveaux droits de douane sur les importations en provenance de 75 pays, dont la Tunisie. Une taxe pouvant atteindre 28 %, sans négociation préalable. Deux jours plus tard, le même Trump accorde une pause de 90 jours — mais uniquement à certains partenaires. La Tunisie n'est ni citée, ni exclue. Elle est simplement oubliée. Le coup est rude. D'autant plus que les relations commerciales entre les deux pays étaient jusque-là en progression. En 2024, la Tunisie avait exporté pour 2,013 milliards de dinars vers les Etats-Unis, contre 1,797 milliard d'importations, dégageant un excédent de 215,8 millions de dinars. Mais dès janvier 2025, le vent tourne : les chiffres basculent dans le rouge avec un déficit de 59,8 millions de dinars. Et maintenant, ce sont les piliers de cet équilibre — comme l'huile d'olive tunisienne, très prisée aux Etats-Unis — qui sont directement menacés par les décisions unilatérales d'un président américain en guerre économique contre la planète… et par l'inertie totale d'un gouvernement tunisien aux abonnés absents.
Une absurdité économique Invité sur Jawhara FM, le professeur d'économie Moez Soussi a fustigé une décision « incohérente » et « absurde ». Selon lui, les taux douaniers avancés par l'administration américaine relèvent de la manipulation. « Si l'on appliquait une logique proportionnelle, les taxes imposées à la Tunisie ne devraient pas dépasser 5,5 % », a-t-il affirmé, rappelant que les produits américains ne sont pas surtaxés à hauteur de 55 %, contrairement à ce que prétend Washington. L'expert a aussi rappelé que les Etats-Unis constituent le troisième marché mondial pour l'huile d'olive tunisienne, représentant 22,3 % des exportations en 2024. Un marché stratégique, donc, que ces décisions pourraient compromettre durablement. Autre voix tunisienne à s'élever, celle de Ridha Chkoundali, professeur universitaire, qui évoque une période d'incertitude dommageable pour l'investissement. Pour lui, la suspension de trois mois des droits de douane — une trêve trompeuse — pousse les opérateurs à l'attentisme. L'économie tunisienne, trop dépendante de secteurs fragiles comme l'huile d'olive, le phosphate ou les transferts des Tunisiens résidant à l'étranger, n'a aujourd'hui comme levier que la consommation intérieure, qu'il faudrait stimuler via une politique monétaire plus agressive.
Le silence tunisien : une abdication coupable ? Face à ces bouleversements, une constante s'impose : le mutisme du gouvernement tunisien. À l'exception d'une déclaration vague de l'ambassadrice à Washington et d'une rencontre discrète entre le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et l'ambassadeur américain à Tunis le 7 avril, rien. Pas un mot de la cheffe du gouvernement. Pas un communiqué du ministère du Commerce. Pas la moindre stratégie définie du Cepex. Dans tous les autres pays affectés, les réactions sont immédiates. Certains préparent des ripostes, d'autres amorcent des négociations pour baisser leurs droits de douane. En Tunisie, pourtant, les produits américains restent taxés à hauteur de 55 %, un chiffre qui mérite d'être revu dans une perspective stratégique. Car si Trump applique sa menace et maintient les 28 %, c'est l'ensemble de notre excédent commercial qui risque de s'effondrer. Dans une situation aussi grave, c'est au président de la République de prendre les choses en main. Il lui revient de piloter une cellule de crise économique, de convoquer les ministres concernés, de défendre les intérêts tunisiens. Au lieu de cela, le pouvoir exécutif semble absorbé par des batailles politiciennes internes. Le monde semble avancer sans nous.
Le monde réagit : ripostes, prudence et turbulences boursières En réponse aux mesures de Donald Trump, la Chine a imposé des droits de douane de 125 % sur les produits américains, touchant notamment les semi-conducteurs et les véhicules électriques. Pékin a également restreint l'exportation de terres rares, essentielles à l'industrie technologique américaine, et a saisi l'Organisation mondiale du commerce pour contester ces nouvelles taxes. L'Union européenne a décidé immédiatement des contre-mesures avant de les suspendre pendant 90 jours, privilégiant la voie diplomatique. La Commission européenne, par la voix d'Ursula von der Leyen, a proposé un accord de libre-échange sur les biens industriels, y compris l'automobile, mais attend toujours une réponse concrète de Washington. L'annonce des tarifs douaniers a provoqué par ailleurs une chute brutale des marchés mondiaux. Le Dow Jones a perdu 4 000 points en deux jours, le S&P 500 a reculé de 5,97 %, et le Nasdaq a chuté de 5,8 %. En Europe, le CAC 40 a enregistré sa pire séance depuis 2020, avec une baisse de 4,82 %. En Asie, la Bourse de Hong Kong a dégringolé de 13,22 %, sa plus forte chute depuis 1997. Cependant, la suspension temporaire des tarifs par Trump a entraîné un rebond des marchés américains : le Nasdaq a bondi de 12 %, le S&P 500 de 9,5 %, et le Dow Jones de 7,8 %.
La Tunisie peut-elle encore sauver ses exportations vers les USA ? Il reste moins de trois mois avant la fin de la « trêve » douanière décrétée par Donald Trump. Un sursis aussi imprévisible que temporaire. Pour la Tunisie, l'enjeu est clair : préserver coûte que coûte ses parts de marché aux Etats-Unis, en particulier sur des produits hautement stratégiques comme l'huile d'olive et les dattes. La marge de manœuvre existe, mais elle se rétrécit chaque jour un peu plus. Plusieurs pistes peuvent – et doivent – être activées sans délai. D'abord, réviser les droits de douane appliqués aux produits américains. À l'heure où Washington dénonce un taux de 55 %, réel ou exagéré, il est impératif que la Tunisie reprenne l'initiative en annonçant un geste d'ouverture, ne serait-ce que symbolique. Ce type de décision, déjà envisagé par d'autres pays touchés par les hausses américaines, permettrait à Tunis de se repositionner dans le jeu diplomatique, d'envoyer un signal positif et de regagner une place à la table des négociations. Ensuite, il s'agit de mobiliser une diplomatie économique offensive, absente jusqu'ici. Pourquoi l'ambassadeur américain n'a-t-il été reçu que par un secrétaire d'Etat ? Pourquoi la cheffe du gouvernement et le ministre du Commerce restent-ils silencieux ? Ce dossier, par sa gravité et son urgence, mériterait la mise en place immédiate d'un comité intergouvernemental, piloté au plus haut niveau de l'Etat, pour tracer une feuille de route claire. Enfin, les exportateurs tunisiens eux-mêmes doivent être soutenus. À travers des dispositifs d'aide à la compétitivité, des exonérations ciblées, ou même une campagne de valorisation du label tunisien sur le marché américain. Car face à des concurrents redoutables comme l'Espagne ou l'Italie, eux aussi taxés, seule une stratégie de différenciation qualitative permettra de rester dans la course. Le compte à rebours a commencé. Et si la Tunisie ne s'engage pas rapidement dans cette bataille, ce ne sont pas seulement les chiffres du commerce extérieur qui seront affectés, mais tout un modèle d'ouverture économique qui sera mis en péril. Le silence, dans ce contexte, n'est pas seulement une faute politique. C'est une erreur stratégique dont le pays pourrait mettre des années à se relever.