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Elections du barreau : une profession qui a perdu sa voix
Publié dans Business News le 29 - 08 - 2025

Les 12 et 13 septembre prochains, près de 9.000 avocats sont appelés à élire leur bâtonnier et les membres du Conseil de l'ordre. L'événement, autrefois suivi de près par l'opinion publique et les médias, se déroule aujourd'hui dans une indifférence quasi générale. Pourtant, il engage l'avenir d'une profession historiquement aux avant-postes du combat démocratique et qui, plus que jamais, donne l'image d'une maison fracturée, épuisée et repliée sur elle-même.

Jamais la profession d'avocat ne s'est aussi mal portée. Jadis fer de lance des combats démocratiques et défenseur acharné des libertés, le barreau tunisien traverse aujourd'hui une crise d'âme sans précédent. Les deux derniers bâtonniers, Brahim Bouderbala et Hatem Mziou, ont incarné une rupture nette avec l'histoire glorieuse de la profession. Là où leurs prédécesseurs – de Béchir Essid à Abdessatar Ben Moussa, en passant par Chawki Tabib ou Abderrazak Kilani – plaçaient le barreau au cœur des luttes citoyennes, leurs successeurs se sont cantonnés à une posture conciliante, parfois servile, vis-à-vis du pouvoir exécutif.
Me Bouderbala a utilisé son mandat comme tremplin vers la présidence de l'Assemblée nationale.
Quant à Me Mziou, il revendique aujourd'hui une « conscience tranquille », affirme avoir « défendu ses confrères avec rigueur » et se félicite d'un travail « patriotique » sur des réformes avortées. Mais ses propres déclarations le contredisent : il admet lui-même un « manque de volonté politique », une « lenteur administrative » et son incapacité à mobiliser la profession autour des actions revendicatives. Son aveu d'échec est limpide : la stratégie de complaisance envers le pouvoir n'a rien rapporté, sinon des frustrations. Et sa formule sur les avocats en prison – « la clé de la prison n'est pas entre nos mains » – sonne comme le constat d'impuissance d'un bâtonnier dépassé par les événements.

Une profession qui a divorcé de ses valeurs
Pendant ce temps, jamais depuis l'indépendance le nombre d'avocats poursuivis ou incarcérés pour leurs opinions n'a été aussi élevé. Même lorsqu'un bâtonnier était réputé proche du régime – comme Abdelwaheb El Béhi dans les années 1990 – il obtenait au moins des acquis pour la profession. Rien de tel sous Bouderbala et Mziou, dont la stratégie de soumission n'a produit aucun résultat tangible.
Le magistrat Omar Weslati, juge près la cour d'appel, l'a rappelé dans une lettre ouverte : le barreau s'est effacé de son rôle de partenaire essentiel dans la justice, gardant le silence sur des violations flagrantes, comme la révocation arbitraire de magistrats.
Pour lui, les élections à venir doivent être « un moment décisif pour redonner à la profession son rôle moteur dans la justice ».
Dans ce contexte, pour ces élections qui auront lieu les 12 et 13 septembre à la Cité de la culture à Tunis, 51 candidatures ont été déposées : neuf pour le bâtonnat (dont une femme) et 42 pour le Conseil (dont six femmes). Des chiffres qui disent tout de la sous-représentation féminine (à peine 13,7 %), mais aussi de l'enjeu : qui saura redonner au barreau sa voix et sa force ?

Les derniers résistants épuisés
À la crise de leadership s'ajoute l'épuisement d'une poignée d'avocats encore debout. La liste est courte : Samir Dilou, Ines Harrath, Islem Hamza, Ahmed Esseddik, Nafaa Laaribi, Wissem Saïdi, Lazhar Akremi, Dalila Msaddek, Sami Ben Ghazi, Saïda Garrach, Saïda Akremi, Abdorahman Hassen Chouchane et quelques autres sont quasiment les derniers à continuer à résister et à militer pour les valeurs des libertés, de la démocratie et de l'indépendance. Tous subissent pressions, intimidations et harcèlement, pendant que plusieurs figures emblématiques croupissent en prison : Noureddine Bhiri, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi, Abir Moussi, Sonia Dahmani, Ahmed Souab.
Le témoignage de Nafaa Laaribi est glaçant : un confrère, épuisé, lui confie qu'il ne veut plus rendre visite à son client détenu, car il « voit noir ». Il décrit un malaise collectif fait d'épuisement professionnel, de surcharge écrasante de dossiers, de sentiment d'injustice et d'inutilité du combat. Résultat : un véritable burn-out collectif. Il appelle les candidats au conseil de l'ordre et au bâtonnat à créer des espaces de soutien psychologique et à faire de la santé mentale des avocats une priorité. « L'avocat militant, dit-il, ressemble au médecin de guerre qui soigne sous les bombes. Il faut le protéger pour qu'il puisse continuer à défendre les droits et libertés ».
Cette lassitude s'accompagne d'un climat délétère. L'avocate Ines Harrath raconte comment elle a été harcelée simplement pour avoir osé s'exprimer publiquement sur Facebook. On l'accuse de salir l'image de la profession, on lui intime de se taire ou de se contenter de « pages sectorielles » fermées. « Nous sommes plus de 9.000, écrit-elle, et Facebook n'est pas le hall du tribunal ». Son témoignage illustre l'ambiance d'exclusion et de censure qui règne désormais jusque dans les rangs du barreau.

Les magistrats révoqués face aux portes closes du barreau
Le scandale le plus retentissant de l'actuel conseil de l'Ordre reste sa gestion du dossier des magistrats révoqués par le régime. Le 1er juin 2022, un décret présidentiel avait écarté 57 magistrats. La quasi-totalité a saisi le tribunal administratif, lequel a ordonné leur réintégration. Mais le ministère de la Justice s'est obstiné à refuser d'exécuter ces décisions. Sans revenus, ces magistrats se sont alors tournés vers le barreau, comme la loi le leur permet. Pour cela, chacun a dû s'acquitter de vingt mille dinars, montant exigé pour l'intégration au corps des avocats.
Le conseil de l'Ordre a pourtant rejeté leur demande, avançant que le tribunal administratif les avait réintégrés dans la magistrature. Les intéressés ont donc saisi la cour d'appel afin qu'elle contraigne le conseil à les admettre. Trois ans plus tard, leurs dossiers restent en suspens.
Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé. Le conseil de l'Ordre a pris pour habitude de bloquer l'accès des anciens magistrats au barreau, les obligeant presque systématiquement à passer par la justice pour faire valoir leur droit. Et paradoxe criant : si l'intégration est refusée, la cotisation de vingt mille dinars, elle, est toujours encaissée sans délai. Résultat : ces magistrats se retrouvent aujourd'hui dans une impasse, privés à la fois de leurs postes et de toute ressource matérielle, et ce depuis trois ans.

Une campagne électorale fantôme
À cette fatigue des avocats-militants et l'injustice frappant les magistrats réprimés par le régime, s'ajoute une campagne électorale d'une tiédeur inédite. Les grandes batailles médiatiques des années passées, avec débats enflammés sur les plateaux télé, stratégies visibles et alliances spectaculaires, semblent appartenir à un autre temps. À deux semaines du scrutin, aucun débat public, aucun mouvement visible. Il n'y a pas si longtemps, les candidats se bousculaient sur les plateaux télé et les studios des radios. Il n'y avait pas un journal qui n'écrivait pas sur la campagne électorale et ne faisait pas d'interview à un candidat.
Les candidats ont choisi l'omerta cette année : tout se joue dans des groupes Facebook fermés, où s'entrecroisent attaques, alliances et règlements de comptes, loin du regard des citoyens et des médias. Dans les faits, on a 51 candidats et quasiment zéro interview et exposition de programme.
Ce repli alimente une dérive inquiétante : les rares avocats qui s'expriment publiquement subissent menaces et pressions pour se taire (comme le cas de Me Harrath). La parole devient suspecte, quand le silence devient la règle.
Et certains utilisent encore cette campagne comme tremplin personnel. Exemple : Radhia Jerbi, présidente de l'UNFT, qui a annoncé en fanfare son intention de se présenter, promettant de quitter son poste en cas d'élection… avant de ne finalement pas déposer de candidature. Elle aura, entre-temps, bénéficié d'une exposition médiatique utile à sa personne et à son cabinet.

Un choix existentiel
Les élections des 12 et 13 septembre dépassent le cadre corporatiste. Elles engagent l'âme même d'une profession qui a marqué l'Histoire de la Tunisie. Le premier président de la République, Habib Bourguiba, était avocat. Le dernier chef d'Etat avant l'actuel, Béji Caïd Essebsi, l'était aussi. Deux figures qui symbolisent, chacune à sa manière, le rôle fondateur du barreau dans la vie politique et dans la construction de l'Etat moderne.
Ce prestige d'antan ne naissait pas de la gestion des retraites ou de querelles corporatistes. Il prenait racine dans les combats politiques et dans la défense des libertés. Le barreau a été au premier rang le 14 janvier 2011, il a porté la voix du peuple contre la dictature et a contribué à sauver la transition démocratique. C'est cette tradition de lutte et d'engagement qui a valu à la profession le respect des citoyens et même, collectivement, un Prix Nobel de la Paix.
Aujourd'hui, ce prestige est brisé. Les avocats ont tourné le dos à leur vocation historique, préférant les questions mercantiles et strictement professionnelles aux vraies valeurs qui faisaient la grandeur de leur corporation. Pire encore, le bâtonnier sortant, inféodé au pouvoir, s'étonne que ses confrères lui demandent d'épouser des combats politiques, alors que c'est précisément l'essence de la profession. Il appelle à une profession apolitique, renfermée sur elle-même, là où le barreau a toujours été profondément politisé, ouvert sur la société et enraciné dans la cité.
C'est ce divorce avec ses valeurs qui rend le choix du 12 et 13 septembre décisif. Les avocats doivent choisir : continuer à s'enfoncer dans la résignation et l'insignifiance, ou renouer avec leur mission historique, redevenir cette force vive qui a toujours été le bouclier des libertés et le moteur de la démocratie. L'heure n'est plus aux demi-mesures ni aux calculs de carrière. L'heure est à un sursaut existentiel, pour que le barreau retrouve enfin sa voix et sa dignité.


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